Cet article fait directement suite à celui sur Paksé, j’en reprends le dernier paragraphe.
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Plutôt que d’adopter le classique moto road trip, j’aborde la boucle des Bolovens en comptant sur les bus locaux, le pouce et mes jambes.
Option peu populaire, je ne suis pourtant pas un cas isolé: j’ai croisé en ce février 2025, une dizaine de randonneurs et deux méritants cyclistes sur un tempo analogue.
De nombreuses cartes existent, celle-ci est l’une des plus complètes (lire Pakse pour l’obtenir et plein d’autres )
Conditions requises pour boucler l’affaire « à pied »
Disposer de temps, n’avoir aucune contrainte pour la suite du voyage. Partir sans savoir combien de jours seront consacrés à la région.
Accepter les aléas, chaque journée peut se terminer très différente de celle planifiée.
Ne pas réserver vos nuits, mais prendre des repères de homestay, il y aura de la place pour vous quelque part.
Aimer l’improvisation et les changements de plan sur un intérêt mal évalué ou une opportunité.
Disposer des meilleures cartes géographiques, d’une application GPS et d’une batterie de téléphone qui tienne la journée. Le GPS est une fonction gourmande.
Partir avec du cash, on ne trouve que deux distributeurs à Thateng sur cet itinéraire.(en réalité, il y en a un autre réputé capricieux à Tad Lo)
Prioriser le trekking et les rencontres sur la quantité de sites visités. On marche à travers les cultures et on passe dans des hameaux tribaux non mentionnés sur la plupart des cartes.
Pour ma part, je sélectionne aussi minutieusement les chutes dont l’accès donne la possibilité d’itinéraires en boucle plutôt qu’en aller-retours. Cela me semble plus riche.
Exemple d’un dimanche ensoleillé:
Trois cascades et une surprise.
Tad E-Tu
Serait-ce la ligne qui va au Km 8?
Départ de Paksé 7h30 avec le samlo « 8 » un transport en commun qui se rend au lieu dit « Km 8 », la gare routière (30 000 kip le passage en fev 2025) . Enfin… c’est ce que j’ai cru! En réalité ce 8 n’est qu’une publicité pour une marque de cigarette. Coup de bol intégral, puisqu’il m’y dépose…
De là, rien de plus facile que trouver un bus en direction de Paksong à 48km de Pakse.
L’œil sur Google Map, je me fais descendre au KM 35. (Voir dans l’encadré « 4 sisters area » sur la carte)
Dans mon viseur, à 1 km seulement de la route principale, une chute indiquée fermée sur Google map. Moi, basique, je me demande comment on peut fermer une cascade. On tourne le robinet vers la gauche?
– Et pis, qui dit fermée, dit personne n’y va non ? Donc c’est pour moi. Le kilomètre de la piste terre-cendre orangée avalé, j’arrive dans un complexe hôtelier fantôme, abandonné durant sa construction. La COVID aurait flingué le projet. C’est ce complexe-hotelier qui est fermé ! je me demande alors:
Un lieu qui n’a jamais ouvert est-il vraiment fermé?
Quelques maisonnettes grises-ciment, les toits aux coins relevés façon temple, attendent que la végétation lui donne l’air d’un vrai lieu hanté.
Le site, lui, est des plus arborés, une chute à deux étages crache un débit honorable qui s’écrase en une retenue baignable. À droite part un chemin vers le top de la chute et à gauche, vers un escalier pour y descendre. Fréquentation zéro, ça baigne! Je nettoie mes Crocs poussiéreuses, elles sèchent vite, retour à la « nationale », objectif…
Tad Champi (ou Cham Pee)
3km me séparent du croisement « Lak 38 » maintenant visé. La circulation est plutôt légère, les accotements larges et sécuritaires, ça devrait me prendre une grosse demi-heure.
Je marche le bras tendu, pouce en l’air. Une petite moto s’arrête aussi simplement que cela et me dépose au carrefour idoine en 5 mn.
Je m’engage sur le même type de piste vers un environnement de maisons en bois sur pilotis aux murs et cloisons tressées en maï paï, un bambou fin laminé frais coupé. Traveling sur les cultures maraîchères, bananiers, caféiers aux feuilles saturées de crasse ocre.
Maison isolée sur piloti, murs et cloisons tressées en maï paï .
Je soulève mon chapeau, saluant joyeusement « Sabaïdi » chaque personne surprise de voir un faleng (étranger) passer à pied. On me répond toujours sur le même ton.
Tad Champi
Le site de la cascade Champi est désert, il est encore tôt. Je me laisse inspirer un moment par cette petite chute circulaire et sa retenue invitante. Je prends des repères prêt à terminer cette balade en une boucle hors circuit. Tiens, je vous explique.
Les pointillés rouges = le cheminement qui permet de faire une boucle.
On est sur l’application Map.me, toujours aussi bonne en ce qui concerne les chemins. Légende :
– En orange, la grand-route, « Lak 38 », c’est le km 38 vous aviez compris.
– En blanc, c’est la piste de terre officielle pour se rendre à la cascade, les pointillés blancs figurent un itinéraire bis par les caféiers.
– En bleu la rivière.
– À gauche de la cascade, des pointillés noirs indiquent deux autres chemins dont l’un revient vers la route principale au niveau d’une gargotte.
– Entre la cascade et ce pointillé noir, ça ne passerait pas !?
Je doute que ce petit segment de rivière de 250m ne soit pas praticable!
Action.
Le petit tracé en rouge
La rivière est peu profonde et parsemée de pierres
En partant de la chute, le long de la rivière côté droit, une sente existe, je ne suis pas le premier à passer là.
La trace s’arrète, barrée par le relief et la végétation, mais des troncs sont posés pour traverser le cours d’eau peu profond et parsemé de pierres –
Un bâton pour m’équilibrer, mon sac à dos n’est pas lourd mais je le préfère sec…
Me voilà descendant rive droite jusqu’au moment où, presque en face du tracé pointillé noir, je repère un autre aménagement de fortune pour re-traverser et rattraper tranquillement la route juste un poil en aval du km 38.
CQFD matérialisé par le pointillé en rouge sur la carte.
Cette balade m’a pris une heure trente en tout. Je pourrais me rendre à Tad Fan de l’autre côté du km38 (hauteur 90m, réputée la plus spectaculaire du circuit) , mais j’ai lu que le site est équipé d’une tyrolienne, ça ne me dit rien qui vaille.
Je lève de nouveau le pouce avec l’intention de rejoindre Tad Mouan à 25km, une chute qui ne figure pas sur tous les plans.
Un gros SUV s’arrête presque immédiatement, je suis aux anges, il va à Thongset, à 2 km de mon but.
Tad Mouan
Mon chauffeur me lâche dans un village-rue, satellite de Thongset en pleine effervescence. Quelques stands se mettent en place, ce soir, une fête un chouia religieuse à lieu au et autour du temple.
Je fais un tour rapide des préparatifs avec l’intention de repasser par là dans l’après-midi.
Il me reste 4km pour arriver à la cascade Mouan… Elle aussi en fête.
Tad Mouan, un dimanche au bord de l’eau…
Musique à fond, barbecue à point, baigneurs en nombre, deux groupes occupent sévèrement le terrain. Outch !
Je reviens pourtant vite sur ma première impression.
C’est dimanche! (un concept que j’ai totalement désappris), les locaux sont de sortie.
Pas question de leur en vouloir, c’est plutôt une aubaine.
On m’accueille une bière tiède à la main et quelques bredouillements anglophones. Séance photos.
J’adore ce 45 minutes de dialogues mi-compréhensibles mais excessivement conviviaux.
Retour vers Thongset, kermesse.
16h, la fête est installée, ça ressemble à une petite frairie. Fléchettes, lancé de balle, plusieurs jeux d’argent, stands de bouffe à 10 000 kip (50 sous). Je n’ai pas mangé, je vais gouter aux brochettes – poissons, crevettes – avaler quelques pincées de grillons grillés juste pour les faire marrer et quelques régaumes en sauce. (J’utilise régaumes – vocabulaire de mon père – à dessein, la définition exacte de ce vocable bérichon étant « plat cuisiné dont la composition est indéfinissable ». Je ne peux pas mieux les décrire.
Le 421 roulette laotienne
Roulette laotienne
Elle se joue sur le même principe que la roulette, mais avec un lancé de trois dés dont il faut miser sur la somme pour ramasser le pactole. On joue aussi pair et impair, la couleur du dé le plus haut ou celle du plus bas.(enfin c’est que je crois avoir compris).
Au ras du sol, les 7 joueurs (sans compter le bébé qui dort) sont âgès de 12 et 75 ans (estimation).
L’ancienne n’est pas là pour rigoler, la petite fille compte ses sous avec attention avant de les poser, ça joue vite et concentré, les billets froissés changent de mains accompagnés de réactions passionnées.
Plus loin d’autres stands de fléchettes, de jeux de hasards, de ventes de brochettes ou de gateaux animent la place. C’est la fête au village, rien d’énorme mais suffisant pour croiser du monde en mode détente.
Là encore, je me sens 100% bienvenu, on m’envoie du hello, du sabaïdi avec l’espoir d’une réponse, ce dont je ne me prive pas.
Temple de Thongset
Le temple
Un tour à 360 degrès dans ce temple de taille moyenne, tout est en place. Les ornements, les nattes et dosserets où s’assoient les moines, les fleurs, les offrandes bien emballées, le gong, l’encen. Les ornements vifs en parfaite adéquation avec les frises qui cernent la partie haute de la charpente.
Les nagas qui ondulent sur les rampes de chaque escalier symbolisent la protection spirituelle, la sagesse, l’harmonie entre la nature et l’esprit ainsi que la connexion avec l’eau, ici le Mekong en particulier.
Ces serpents auraient protégé Bouddha lorsque, sous le Bodhi, il atteignit l’illumination. Pour approfondir le sujet, je vous renvoie au manuel du « boudhisme pour les nuls », (en rédigeant cette phrase je pensais l’inventer…Il existe bel et bien!)
Il est temps de lever le pouce en direction d’un lit. Ce sera à Thateng une petite vingtaine de km de là. Chambre individuelle, grand lit, salle de bains perso, eau chaude et ventilateur au plafond. Le luxe à 5$, la journée a passé comme un éclair, j’empile 3 cascades, 4 véhicules, 2 baignades, une fiesta, locale et quelques bières.