Iquitos ne souffre aucunement du tourisme de masse, la destination attire une poignée de Percy Fawcett en herbe à la recherche de frissons faciles. Quelques agences se bagarrent autour de la thématique « aventure dans la selva » en proposant toutes, plus ou moins le même type d’immersion dans la Jungle.
Les écarts de tarifs, surtout liés aux conditions logistiques, surprennent un peu. L’offre va du hamac accroché entre deux arbres à la cabane de luxe perchée sur la canopée avec panneaux solaires et douche tiède au jerrican…
Après quelques bavardages, je signe pour une virée qui me garantit trois « non-négociables » :
- Nuitées dans une baraque en dur avec matelas.
Le camping dans la jungle « tééllllement romantique« … qui résoud l’équation : Jungle + pluies = boue10 ⇒ matins misérables ⇒ journée de marde (CQFD) … Niet camarade. - Interférence a minima dans la routine de la faune rencontrée.
- Un groupe très limité de participants (…en nombre et non intellectuellement, si possible)
Nous joignons Nauta, pueblo vestibule du parc protégé « Pacaya Samiria ».
4°26’28.6″Sud 73°27’06.7″Ouest, vertige!
Plus que les faces rocheuses les plus gazeuses que j’ai pu grimper, plus que les crêtes les plus aériennes que je me suis donné de parcourir, vivre ces coordonnées géographiques me file le vertige, me rend bé(a)tement euphorique.
Elles marquent la confluence de deux rivières dont les sources dégringolent des Andes péruviennes:
• la Marañion et
• la Ucayali,
De cette rencontre, de cette union, naît l’Amazonie.
En cette saison, elle atteint 1.5 km de large. Pour sa longueur, elle fait son boulot de fleuve champion du monde sur les 6400km de méandres qui la sépare de l’Atlantique.
En fait, pas un jour de ce court mois en Amazonie (Letica + Iquitos + Puerto Nariño) ne passe/ne passera sans que je reste pleinement conscient de cette localisation… Sans que je me répète « tu te rends compte où t’es mon toto? »Je n’arrive pas à banaliser, je ne me lasse de rien, tout ce que je regarde m’apparaît démentiel et ce, parce que c’est ici.
Les micros villages, les communautés, la puissance forêt, la taille des plantes, la faune, la vie de et sur la rivière, rien, jamais, ne m’apparait redondant.
Ok, l’excité, maintenant qu’est-ce qu’on fait?
On saute dans une barque et on s’arrache en forêt.
Ma bande d’intrépides est composée de 2 Indianas jaunes (japonais), Adrien, français du nord de l’Armorique et yo, d’amérique du Nord. Je vais particulièrement bien m’entendre avec Adrien, qui aborde l’expérience avec une humilité qui fait plaisir à fréquenter. Nous sommes encadrés par Wilson et Henry, 2 éclaireurs éclairés.
Demandez le programme
Potentiellement au Menu:
- Une rando à la découverte de plantes, fruits, écorces et feuilles nourricières, médicinales ou narcotiques. (Pour les chamaneux);
- Plusieurs explorations diurnes en quête de bestioles rares en ville (anaconda, ouistiti pygmée, saimiri, choros, tapir, etc – Je n’ajoute pas jaguar, vous allez me dire qu’il y en avait deux hier sur le parking près de chez vous) .
- Une marche nocturne à la recherche de bestioles tout aussi absentes des champs élysées, (enfin je croââ): gros batraciens, scorpions, mygales, reptiles de toutes tailles …
- Quelques coups de pagaies en quête spécifique de paresseux (perchés très haut dans certains arbres, mais qui, bien éduqués, descendent au sol faire leur caca);
- Un lever de soleil sur l’Amazonie depuis notre esquif (pour les épicuriens).
- Un coucher de soleil depuis la même embarcation tournée dans l’autre sens (pour les romantiques cette fois).
- Une matinée de pêche au piranha (qui sera fructueuse);
- Une sortie d’observation des dauphins dont les roses à bosse,
- une autre pour les caïmans. (qui n’ont rien à voir avec les crocodiles!)
- une séquence baignade dans la rivière Amazone (sans les caïmans)
Et si on est gentils, on ira même rendre visite aux épouses de nos nautoniers qui vivent dans une petite communauté à un jet de pierre de là.
La densité du menu permet de ne jamais se retrouver plantés à ne rien faire, mais c’est la pluie qui commande l’emploi du temps, qui décide ce qui est jouable ou pas.
Notre quatuor est enthousiaste, même si prudents, les guides nous rappellent que rien ne garantit de coudoyer un pirarucu ou un singe araignée… On n’est pas au zoo!
Des gars du coin
Je suis confiant, il est clair que ces deux natifs du quartier ne sont pas des Mickeys, il semble qu’ils maniaient la machette avant de savoir boutonner leur chemise.
La Jungle c’est leur banlieue, ils y ont leurs entrées tant dans le ghetto (pourtant aux mains des chorongos) que dans les beaux arrondissements où les picarucus profitent de leurs piscines.
Ils savent aussi dans quelle banlieue, les oiseaux de proie braconnent reptiles et iguanes, Ils connaissent les planques du trafic d’écorces, de sèves et autres boulettes stupéfiantes.
Ces deux gars sont renversants, Wilson ouvre la marche, Henry 10m derrière, la ferme. En mouvement, têtes en l’air, c’est simultanément, qu’ils détectent le bruissement, la vibration, voient l’ombre. C’est coordonnés qu’ils s’arrêtent et pointent leurs machettes dans la même direction vers la chose.
Un oiseau de proie, un toucan, un singe gros comme le poing dissimulé à 60% par des feuilles, un paresseux tout là-haut, un truc furtif au sol qui ressemble à un ragondin ou une loutre (?), un… Ah non là…
– pas un bruit s’il vous plait
…fausse alerte.
La marche elle même est géniale, bottes aux pieds, cape de pluie dans la besace Wilson taille notre itinéraire à la machette.
Nous alternons :
- zones humides,
- micros clairières jonchées de fruits.
- végétation hyper dense
- aménagements de fortune pour franchir ici un guêt, là des gadoues profondes
- margouillis aspirants.
J’apprécie terriblement le fait que Wilson quitte la sente principale et ouvre une trace pour le groupe (mais silence total svp).
Les sorties faunes tiennent leurs promesses
Pendant ces 4 jours, on traverse différents écosystèmes, on joue à cache-cache avec la pluie et les moustiques. On perd souvent.
Le temps d’un clin d’oeil ou avec plus de chance, les sorties faunes nous offrent une belle variété de bestioles locales: divers singes, tapirs, fourmiliers, iguanes, énormes grenouilles, insectes louches et surtout oiseaux.
Rapaces, toucans, perruches, geais, aigrettes, « éperviers », les piaillements continus témoignent d’intenses commérages entre ces communautés.
Ça bubule, ça garrule, ça hulule bref… ça formule.*
Les oropendulas (Paocarillo pour les locaux) sont les plus sonores le matin. Face à notre baraquement, on les voit tournoyer afin de tisser leurs nids clos qui pendouillent aux branches.
Le pouvoir des plantes
Wilson transmet par l’exemple :
- De sa lame, il entaille diverses écorces:
- contre la drisse, à prendre en décoction
- contre le diabète. Une fois malaxée, pressée, un jus âpre, rouge cochenille s’écoule de la boulette d’écorce
- celle qui fait chaufferette en 30 secondes de pressions (ça fonctionne jusqu’à la brûlure!)
- Il saigne un hévéa, en recueille la sève blanche, la frotte entre ses mains jusqu’à en faire une boulette prête à poster chez Michelin.
- Il coupe 30cm d’une liane dont l’eau parfaitement fraîche abreuve le groupe.
- Etc
Bon public, on apprend religieusement et selon la trempe de chacun, on teste sereinement… (Je ne vous fais pas un paragraphe sur Asuna, la manga du groupe, chemisiers et sac à dos 2 litres roses).
Anti-moustique
C’est tout un frémissement que de plonger la main dans une termitière, de voir les blattoptères se répandre entre les doigts, envahir la main, remonter l’avant bras.
Avant, attention génocide, de s’en savonner les mains et d’étendre la bouillie sur la peau exposée aux moustiques… Sévère, déchirant même, mais efficace.
Au long du fleuve tranquille
Notre incursion dans ce milieu hostile n’est possible que grâce au fabuleux réseau hydrographique de l’Amazone que nous cabotons en barque et en pirogue.
Des dizaines d’îles créent des bras qui s’ajoutent aux affluents, aux confluents, aux rivières secondaires participants à cette biodiversité que maîtrisent nos pilotes.
On atteint:
- le coin à piranha dont on dinera la pêche miraculeuse en friture le midi-même
- les eaux domiciles des caïmans
- les aires de jeux des dauphins roses (botos) et gris (souriants comme Flipper)
- les « Victoria » nénuphars géants et plein d’autres verdures aquatiques.
Il arrive que certaines plantes envahissantes rende laborieuse la remontée du bâteau sur un cours annexe.
Le couple de Nippons nous quitte après leur deuxième journée. Adrien et moi optimisons l’expérience en complétant la liste des sorties au mieux de l’offre météo.
Independancia
Nous avons la chance d’aller à Independencia la communauté où vivent Wilson et Henry.
Rien à voir avec un plan tribal ou indigène avec chef à plumes et os à travers les narines. Les gens s’habillent et vivent comme vous et moi… enfin pas tout à fait quand même.
Le pueblo, ses 2 allées, les maisons sur pilotis m’évoquent Utila (Honduras) et la vie des villages simples de la côte caraïbe.
Rythme tropical, bord de l’eau, soleil… Nostalgie.
Comme c’est jour de fête, on fait carton plein de rigolade avec les jeunes qui jouent au foot sur le terrain hyper boueux.
Les 3 heures passées parmi ces 80 familles isolées rajoutent une chouette couche de vie locale comme je les aime et qui mériterait à elle seule un récit… Dure vie de blogueur!
À suivre.
*hibou, geai, chouette, choisis pour l’allitération bien-sûr
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