On n’aligne pas trois cordillères andines plus un massif qui pointe à + de 5700m sur un même territoire sans un minimum de conséquences…
Si, à l’instar d’Egan Bernal ou Nairo Quintana, la Colombie est une terre de grimpeurs, c’est aussi un pays d’escalade.
J’ai souvent évoqué dans ce blogue la vertigineuse esthétique des pentes du Caldas et de l’Antioquia et le plaisir d’y randonner et/ou d’y grimper.
En Colombie, les péñols, les sierras, les canyons sont autant de terrains de jeux que la gente araignée s’évertue à gravir au prix d’un ratio efforts esthétiques Vs euphorie de la verticalité que seuls les vrais masochistes peuvent appréhender.
Le temps ou l’âge n’y font rien, grimpeur tu fûs, tout fou tu resteras, hypnotisé par les crêtes, envouté par les grandes dalles, ensorcelé par le rocher de façon générale. Je place autant que je le puis les sites d’escalade sur mon itinéraire, à moins que ce ne soit le contraire.
Nous sommes maintenant dans la région de Santander.
Logistique simplifiée
Passé en février par Suesca, une des falaises majeure de Colombie, sans trouver de solution pour squatter un binôme, je vais cette fois mieux logistiquer mon rendez-vous avec « La Mojarra » .
Fort de quelques courriels, je réserve 4 nuits au « Refugio de la Rocca » car on me confirme la location d’équipement et la forte probabilité de m’arrimer à une cordée sur place.
Yapuka.
Le canyon de chicamocha
Classé « Merveilles naturelles de la Colombie », le canyon de Chicamocha s’exprime sur 227 km et jusqu’à 2000m de profondeur. Sa rive droite offre un parc de loisirs très populaire en fin de semaine:
- Vues panoramiques
- parc aquatique
- village idéal colombien reconstitué
- tyrolienne, rappel, balançoires extrêmes, bungee, etc
- téléphérique
- survol en hélico
L’accès à la rive gauche ajoute un contournement du gouffre de 3h que je résous en bus et en autostop.
El refugio de la Rocca
Accès officiel aux falaises équipées, cette auberge de grimpeurs s’affiche écolo, rustique et très efficace.
Du dortoir aux cabanes-baies-panoramiques suspendues au dessus de l’abîme, chaque budget a droit à un lit (de 12 à 140$/nuit). Les parties communes sont multiples, conviviales, diverses et joliment décorées:
- mur d’entrainement
- espace de musculation
- salle de yoga
- salon détente: ping pong , jeux + télé, hamacs, canapés
- restau-bar avec espaces intimes en terrasses.
Par bonheur, une cuisine est à la disposition des petits joueurs.
Spectaculaire et impensable en nos pays sur-sécurisés, une plateforme orientée Est, surplombe le gouffre. Ce balcon sans garde fou survole la profondeur du canyon offrant le vide à tous les kamikazes bien motivés.De là, une passerelle invite à rejoindre une stèle des plus aériennes, propice à la salutation au soleil ou à d’autres cabrioles… (photo d’entête)
Bémol
Forte d’une concurrence des plus atones, l’auberge cogne assez fort sur les prestations annexes. Restauration, boissons, prestations d’accompagnateurs rando ou escalade ont tendance à distancer les tarifs conventionnés.
Grimper à la falaise de la Mojarra
L’accès à la falaise est gratuit à la condition de passer the test de compétences en escalade en trois épreuves:
- Exécuter un noeud d’encordement homologué
- installer un relais dans les normes
- libérer proprement le-dit relais.
La décharge de responsabilité paraphée, vas-y…
les 24 secteurs de la falaises sont à toits!
Je loue une paire de chaussons acceptable au refuge et trouve un compère du cru en manque de partenaire (Jason). On se promet une journée de grimpe tranquille, sans course à la performance. Ça tombe bien!
Le granit rouge de la Mojarra est verticalo-déversant, de nombreux « toits » (surplombs) imposent placements, puissance et technique:
- Suspensions qui durent,
- tractions tenues,
- rétablissements musclés en équilibres délicats.
Quatre heures d’ahan plus tard, j’ai les orteils en feu, les doigts tassés et les avant-bras qui crient au secours.
Le reste de la journée sera contemplative.
Je dois avouer qu’à chaque fois que j’ambitionne une grimpe de cette envergure, je l’aborde comme « ptêt’bin ma dernière ». Et je profite tout simplement du moment en me trouvant bigrement chanceux.
Cette fois pourrait bien l’être vraiment…
Cette séquence me colle trois jours de courbatures et quelques asthénies.
Cela dit, le canyon est riche par nature, je vais me rabattre avec bonheur sur les chemins qui le sillonnent.
Randonner le cañon
La chicamocha regorge d’itinéraires, un trek de 64 km y est même répertorié. Au delà de l’environnement, quelques points forts ajoutent un piment culturel à cette exploration.
J’aborde le canyon par les 100m d’escaliers de bois qui mènent aux voies d’escalades, le chemin se divise ensuite.
En piquant à gauche à flan de pente, il file en direction du fond. Agréable à parcourir, la trace est souvent boisée, parfois étroite ou à pic.
En s’approchant du bas et des cultures d’agrumes, elle évolue en un chemin de plus en plus carrossable.
Je n’ai qu’une information:
Il me faudra perdre et reprendre de l’altitude plusieurs fois avant la remontée finale vers Los Santos.
En rejoignant les flans cultivés les bifurcations se multiplient et par là même, les erreurs potentielles de parcours. Je reste logique et garde mon cap:
- abscisse: Nord,
- ordonnée: mi-pente.
Les meilleures applications de trails de mon téléphones s’avèrent NULLES sur ce terrain, la dénivellation trompe le gps qui n’a jamais été aussi délirant. Je me fais aider par les rares paysans que je croise.
– Bonjour, Los Santos c’est par là?
– Oui
– à pied y’en a pour … combien de temps?
– une heure, une heure et demi
– Wow une heure et demi, c’est vraiment pas loin!
Le problème c’est que je tiens cette conversation mots pour mots 3 fois en 2heures.
J’assimile finalement qu’en suivant le chemin principal on n’est jamais dans l’erreur, mais pas forcement au plus court.
Le canyon offre une multitude de chemins qui conduisent à Los Santos (et/ou à Jordan) en trois, quatre, six heures, selon ton intuition…
Parti tôt je me fiche un peu de ce « détail ». L’environnement est sublime, les oiseaux innombrables et bavards, la marche est aussi enthousiasmante que solitaire d’autant que les lézards et les serpents (anomalepididaes) détalent devant mes pas. J’adore.
Souvent ombragé, parfois exposé, l’itinéraire enchaîne les morphologies: caillouteux, enroché, terreux, bordé d’un muret, herbacé …
Je rate un croisement essentiel
Un timide balisage existe pourtant, je passe à coté d’une pancarte dont la flèche pointe en direction d’un fouillis herbeux. Une trace usée peinte en jaune est également présente sur un cailloux à son pied, je la zape totalement.
Les herbes sont hautes, nullement écrasées, tout laisse à penser que le panneau a pivoté, que la flèche est imprécise. Je cherche en vain… et décide de garder mon cap.
Je m’enfonce dans un petit 40min d’erreur. C’est un peon (que je rebaptise Mortimer) qui me confirmera la méprise et me conseillera de remonter.
Pétroglyphes
Sans Mortimer je n’aurais jamais remis la main sur les marques jaunes. Elles me ramènent au pied de falaises historiées de quelques pétroglyphes Guane qui, plusieurs fois millénaires représentent le soleil, différents animaux et quelqu’autres figures sacrées.
Trésor culturel oublié du tourisme, la Colombie en regorge! Tomber sur ces « gribouillages » est émouvant, je dégaine mon terminal pour une pause culture, le signal est suffisant. Je lis que leur technicité et les lieux où ils ont été barbouillés sortent de toutes les normes répertoriées.
El camino real
4 heures après mon départ, je frappe contre el camino real, 5km de chemin royal qui relie Los Santos, en haut et Jordan au fond du canyon en ligne droite ou presque.
Bien qu’absent des cartes Google (pas fort!), je sais que mon parcours ne m’impose plus que 20 mn de ces jolies pierres plates.
Historique
Cette voie ancestrale était utilisée par les Guanes pour se rendre aux centres cérémoniels de Los Santos, histoire de placoter avec l’univers.
Afin de rendre le rectiligne tracé d’origine accessible aux vaches et à leurs montures, les colonisateurs ont re-profilé le chemin de quelques virages en épingles à chevaux… Ce faisant, ils l’ont aussi renforcé de murs de soutènement et couvert de ces sublimes pierres du cru. Écrasant d’élégance, on le dirait d’hier.
La porte Jordan
En terrasse au bord du chemin, la porte Jordan est une ruine emblématique. Fut-elle une maison, un lieu de cérémonie, une étable? Je n’ai pas trouvé de réponse, sa porte reste ouverte sur son propre mystère.
Los santos
Los santos n’est pas un village 100% paisible, il serait à la fois le plus sismique de Colombie et dans le top 3 mondial… Les locaux parlent comme d’une anecdote de la dizaine de secoussettes quotidiennes…qui, par prudente habitude, les pousse à sortir de chez eux. Cela dit, à la mi-avril, ils ont encaissé un Richter 5.9, à ce niveau là ça commence à mousser!
Charmante église, compteurs électriques originaux parcequ’aquarellés, le tourisme y est raisonnable. J’allonge mes jambes dans un troquet de base. La bière que j’écluse la tête dans les étoiles est l’un des meilleurs réconforts de la semaine.
En continuant de remonter le camino real, je vais rentrer au refuge de la Rocca en une heure. La boucle bouclée…
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Chronologie du voyage:
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