Je pense profondément que voyager le long de l’Amazonie ne se vit pleinement que via les moyens de transports usuels des populations du fleuve :
- La barque pour les trajets courts,
- le bateau rapide,
- le cargo (marchand).
Ces embarcations sont les seuls moyens:
- de frôler les réalités de cet univers fluvial qui assure tant les mouvements de population que ceux du frêt
- de se confronter à l’inconfort de ces moyens de déplacements, pour être dans le vrai
- de s’offrir une perspective en images sur la vie des rives
Après une rapide investigation aux différents embarcadères de Leticia, je décide d’emprunter le bâteau rapide pour me rendre à Iquitos au Pérou; je prendrai le cargo pour en revenir.
Rapide?
Ce long bateau fermé n’en a que le qualificatif. L’intérieur est aménagé comme un bus de 100 places dont les sièges s’inclinent au détriment du confort du voisin de derrière; Conséquence, personne ne s’allonge, merci tout le monde et tans pis pour vous. Absence de toilettes, arrêts pipi non offerts… Faut gérer.
On me vend le trip Leticia-Iquitos en 11h, ça en durera 19.
Le long hors-bord part vers 19h, la nuit est tombée, les hublots n’ont pas de vitres, ils sont recouverts d’une toile anti-pluie qui prive de toute vue sur l’extérieur. Au lever du jour, ces ouvertures restent aveugles, je ne saurais dire pourquoi…
Le paysage défile sans nos yeux.
Moralité, j’arrive claqué d’une somme de sommes abrutissante, correctement groggy et la vessie écarlate.
Pas le meilleur choix, c’est certain.
Iquitos tranquillos.
Climat liquéfiant, environnement vaguement hostile, lenteur des déplacements, l’isolement d’Iquitos dans la forêt primaire conditionne son mode de vie semi-autarcique et partiellement lacustre.
Très peu d’autos, encore moins de camions, la circulation bouchonne aux tuk-tuks et aux motocyclettes qui jouent des coudes et se queuedepoissonnent avec brio.
Plus grande ville au monde seulement accessible en avion ou par bateau, Iquitos n’a guère d’exceptionnel que ses coordonnées géographiques calées au fin fion de l’Amazonie.
Le bras de l’Amazonie que squatte la cité coule cool, nourrit la population sans être sur-pêché et aligne les embarcadères dont les barcasses offrent une saine alternative à la circulation urbaine.
L’empreinte coloniale se fait aujourd’hui discrète presque confidentielle. Il reste dans les deux blocs qui vont de la place des armes au fleuve, trois ou quatre bâtiments remarquables dont les façades couvertes d’azulejos méritent le sceau « bâtiment du patrimoine » accordée par la ville.
Pour le reste, la cité se résume à pas mal de tôles ondulées, des planches dans tous les sens et des murs de béton ravagés par l’humidité, noircis par une inexorable moisissure due au climat. Pas glamour pour un sous.
Prendre l’humeur de la ville, c’est la musarder de la place centrale au marché de Belen sans la réduire à ses quartiers (pauvres) sur pilotis et surtout sans jamais oublier OÙ on est sur la planète.
Le marché de Belen
Où que l’on soit, dans les pays à faibles revenus, le marché c’est toujours le miroir de la vraie vie, un zoom sur les locaux et les combats qu’ils mènent quotidiennement pour s’en sortir.
Théatre d’un bordel ambiant des plus réjouissants, le marché de Belen (tous les jours de 7h à 13h) phagocyte 100% de son aire et déborde largement sur tout le quartier.
J’adore y promener mes baskets, j’admire la diversité de l’offre, tire quelques portraits à la sauvette, valide les effluves d’étals de poisson en plein soleil.
Ce jour là, j’y acquiers la frontale et le poncho de pluie dont j’ai besoin pour filer en forêt dans quelques jours. Pour déjeuner, j’hésite entre une brochette de grosses larves et un barbecue de tortue… ou de crocodile.
J’éprouve comme « un sentiment de revanche inexplicable », profondément enfoui dans la partie reptilienne de mon cerveau. Je prends la patte de caïman (si, si).
Pourquoi Iquitos?
Parce que Fitzcarraldo naturellement!
Le vrai personnage, le film et la folie de son tournage sur trois ans ont en 1982 suffisamment secoué mon imaginaire pour faire d’Iquitos un de ces lieux « où me rendre un jour avant de… »
Et puis il y a la maison Eiffel (La casa de fiero)
Autre objet de ma curiosité, je voulais voir en-vrai ce morceau d’histoire et de bravoure:
La première maison de fer livrée en kit en Amazonie.
La charpente fut expédiée des forges d’Aisseau (Atelier Eiffel en Belgique) via l’exposition universelle de 1889 – La même que la tour –
Et le voyage ne fût pas qu’une partie de saute-moutons.
Dessinée par Gustave, l’extérieur reste un classique de l’architecture d’acier de la fin XIXe.
Moins ordinaire, son acheminement vers l’Amazonie et son passage de main en main au fil des faillites successives de ses propriétaires, dépeint une fresque épique à part entière.
Batiment magico-mythique, l’étage et son balcon abritent un restaurant très classieux.
Les poutres rivetées sont partiellement recouvertes par de lourdes plaques d’acier d’origine cérusée jaune. Me remémorant mes lectures, j’élucubre le voyage de chaque pièce de ce mécano à dos d’homme et de bateaux en bateaux à travers la forêt depuis l’Europe en ces temps où les docker n’avaient que leur dos pour remplir leur taches.
Sans consulter le menu, je décide de « faire mon Franck » et buvote un espresso dont le coût se révèlera équivalent à mon almuerzo quotidien (lunch, plat du jour), brrrr… On a les frissons de luxe qu’on peut.
Après une exploration de la ville de 4 jours, je prends la direction de Nauta à la confluence des rivières Marañion et Ucayali, confluence qui donne naissance à l’Amazonie… Cette fois ça y est!
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Chronologie du voyage:
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