Il faut remettre ce petit article en contexte en se remémorant ou en relisant le premier paragraphe de Leticia-Iquitos en bateau rapide à titre de comparaison.
Bienvenue à bord
La cinquantaine bien frappée, jeans, tee-shirt saumâtres, les gougounes en date limite de consommation, le capitaine me serre la louche avec entrain.
La mine ad hoc de vieux loup du fleuve, il pointe passagers et chargements qui seront l’objet de transactions au fil de la navigation.
Nous nous sommes parlé hier alors que je furetais les embarcadères d’Iquitos cherchant l’info-cargo à destination de Leticia.
– T’es venu finalement?!
– Bien sûr, je t’avais dis que j’étais sérieux, t’as besoin de mon passeport? Faut que je paye le passage là?
– Non, plus tard, installe-toi où tu veux
J’emprunte l’escalier qui mène au pont intermédiaire.
Ouch, estomaquage total, je marque un gros arrêt.
Je balaie plusieurs fois du regard l’espace saturé de hamacs, jette rapidement un oeil sur le pont supérieur… idem.
Moyennement engageant
Entre 80 et 100 hamacs sont suspendus serrés sur chacun des deux ponts, ça sent la saturation. Dans l’air, ça fouette bien mûr.
Parodiant Géronte, mais sur un ton narquois, je me demande un peu ce que « je suis venu faire dans cette galère ».
L’espace de quelques instants, je me traite même de foldinguo.
Je sais pourtant que c’est exactement ce que je suis venu chercher. Les heures qui suivent vont lever tous les doutes.
Je pose mon sac, accroche mon hamac, essaye d’engager la conversation avec divers voisins. Peine perdue, les gens sont sur leur portable, ils captent leurs derniers instants de 4G, ensuite, ce sera blanc de Web pour un moment*1.
J’en profite pour WhatsApper Évelyne et Christine de ne pas me chercher ces 3 jours prochains.
La nuit tombe, la pluie aussi, je me relève tranquillement du choc. Le bateau prend le large, sur les ponts passagers l’air circule et s’assainit. Écouteurs calés sur une série de balados préenregistrés, je traverse la nuit à rechercher la position qui réduit au mieux la courbe du hamac tout en gérant la promiscuité du voisinage.
Sans surprise, ce sera sommeil en pointillés ·−−· −−− ·· −· − ·· ·−·· ·−·· ··−·· · ··· *2 ces trois prochaines nuits.
La croisière m’amuse
Plus le bateau avance, plus j’y trouve ma place.
Il y a dans ce trajet-spectacle tellement de matière, tellement de concrêt.
Entre la vie à bord, la flamboyance des berges et les fresques animées des livraisons-chargements, c’est une avalanche d’images, de personnages et de vécus qui se déploie sans la moindre inhibition.
Progressivement, je me fiche des conditions à bord:
- La bouffe sans saveur et rébarbative, (j’ai un stock de bananes et de pommes),
- les conditions sanitaires en général, (je me laverai plus tard)
- les 8 gogues pour 200 estivants… qui finalement ne s’en sortent pas si mal
- la lenteur du navire… bien au contraire!
La distance est tellement riche et plus facile à vivre dans ce navire que cloué dans le «bateau rapide ».
Ici à minima, on peut se dégourdir les jambes 24h/24 sur un itinéraire aux horizons à consommer sans modération.
Les heures se consument sans monotonie aucune, j’alterne les temps de:
- regards au loin, accoudé au bastingage à respirer la rivière
- prises de notes et rédaction de quelques ressentis
- lectures de mon dernier bouquin spécifiquement épargné pour ce trajet.
- séquences kodak
- siestes compensatrices
- écoutes de balados et
- bavardages avec mes compagnons de voyage, (ouf, les cellulaires sont off)
J’apprends des brésiliens que les bateaux qui se rendent vers l’Atlantique sont plus soignés, plus agréables et que l’atmosphère est un peu plus « croisière ». (j’aurai l’occasion, l’année suivante d’en juger par moi-même (Lire Manaus à Belem via Macapa)
Je travaille fort la relation avec le capitaine et son second qui m’ont à la bonne en les faisant marrer.
À chaque fois que l’on se croise, je lache une de ces blagues faciles sur le thème redondant du croisiériste qui se plaint de tout.
« Au petit déjeuner, j’aimerais mes œufs coque cuits à 3min 40 stp » (y a pas d’oeuf le matin)
« Y’a pas de margarita au bar!» (y’a simplement pas de bar)
« Je n’ai pas trouvé la piscine sur le pont supérieur…? »
etc
L’Amazonie, lien salvateur
Pour moi, cette glissade sur l’Amazonie est un petit bout d’aventure. Pour mes compères de hamacs, ce n’est qu’un trajet en transports en commun on ne peut plus commun.
Si Santa Rosa est à 90 heures d’Iquitos, ce n’est pas par faute de puissance du cargo, mais parce que sa fonction de transporteur lui impose mille arrêts.
Omnibus, il embarque et délivre biens et passagers dans chaque communauté sans exclure la plus isolée des cabanes. Une fonction Amazon… on ne peut plus pertinente… et essentielle naturellement. Sans le réseau fluvial les populations seraient livrées à une sévère autarcie.
Livraisons
Certaines livraisons sont plus banzaï que d’autres:
Le bateau cogne tassant la berge brutalement, une planche est jetée en guise de passerelle, deux ouvriers funambules déchargent les marchandises dans la pente glaiseuse. Ils la posent sur un bout de carton ou entre deux tasseaux.
Le client « n’a plus qu’à » récupérer sa commande, nous sommes déjà repartis.
Les déchargements de plus grande envergure permettent de débarquer et d’explorer le site, 15mn, 30, une heure… sans trop s’éloigner quand même… J’observe, m’émerveille, tente de ne pas déranger tout en gardant un oeil sur le bateau là-bas, convaincu qu’il ne m’attendrait pas en cas de retard.
Le cargo reprend sa route, suivi par les dauphins roses à bosse…
Au loin le métier de porteur se porte bien, les gens s’affairent, iils collectent leurs biens.
Il y a des enfants qui aident, d’autres jouent au foot, d’autres encore plongent dans la rivière et remontent sur la berge en rampant dans la terre.
Il n’y a pas d’Eden sur les rives de l’Amazonie, il n’y a qu’une vie qui grouille de mômes les pieds dans la bouette.
Initiatique
Le bateau s’approche de Santa Rosa, ultime lever de soleil sur l’Amazonie. Côte à côte, silencieux, le cap’tain me pointe Santa Rosa du doigt.
Le cargo me lache à la madrugada*3 du 4eme jour. 5h30 du matin, c’est trop tôt, c’est trop vite. Pas envie de débarquer.
Dans un contexte différent, je pousserais jusqu’à Tabatinga coté Brésil, j’attraperais un cargo à destination de Manaus. Ce sera pour une autre fois.
Anne m’avait raconté sa fascination pour le « Paris des tropiques » et démystifié la logistique du voyage sur l’Amazonie. Motivatrice, je sais maintenant qu’elle n’en rajoutait pas. (Merci à toi.)
La descente vers Belém est définitivement dans mes plans.
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* 1En fait, un des réseaux de télécom péruvien arrose ponctuellement quelques communautés de l’Amazonie… Ce n’est pas Bitel, celui auquel j’avais souscrit.
*2·−−· −−− ·· −· − ·· ·−·· ·−·· ··−·· · ··· = Pointillées en morse
*3madrugada, j’adore ce mot = « au petit matin ».
Suite…
Descente de l’Amazone de Manaus à Belem
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Chronologie du voyage:
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