À « Zipa », j’ai rendez-vous avec Marie-Josée, la sœur de Michel… Mais siiii, vous savez bien! Michel le gars qui est censé partir trekker avec moi au Sikkim un de ces hivers mais qui est incapable de prendre sa retraite!
Marie-Jo est sculpteure* invitée au premier symposium de sculpture monumentale de Zipaquira »*, un projet qui a germé en 1981 et se concrétise (enfin) ce mois-ci, cette semaine, aujourd’hui!
Coup de bol prémédité, nous avions coordonné notre rencontre à Zipaquira lors d’un repas à Noël. Je m’étais dit que si j’avais la chance de me glisser dans l’évènement, ma visite de la cathédrale de sel n’en serait pas plus sotte (Euphémisme).
Et c’est ce qui arrive +++
La cathédrale de sel de Zipaquira
Il faut lire le wiki pour prendre la mesure:
- de la formation géologique du site,
- de l’importance économique de la mine jusqu’au XIXe siècle,
- de la création de la cathédrale par les mineurs eux-mêmes,
- de son histoire récente et son classement en 1ère place des merveilles de la Colombie,
- des collections artistiques qu’elle abrite,
- des symboles religieux / pélerineux qu’elle représente.
À l’exception de la Mine de sel de Wieliczka en Pologne, il n’existe pas d’équivalent dans le monde. La cathédrale combine avec bonheur la magie de son caractère sous-terrain et sa mise en valeur architecturale, artistique et mystique, même si l’inspiration est gravement orientée catho. Cohérent pour une cathédrale!
Le symposium de sculpture monumentale de Zipa
Symposium:
Nom commun ronflant laissant penser qu’on va se faire ch… dans un amphi à écouter des intellos discourir sur un sujet pompeux.
Ou… cette interprétation plus proche de son éthymologie et de notre réalité:
« Réunion de passionnés autour d’un banquet, d’une activité qui partagent leur art en trinquant quelques canons. »
En l’occurence ici, les passionnés sont des maîtres qui :
- se connaissent et se reconnaissent,
- sont unis par leur passion,
- travaillent sur un projet MONUMENTAL, hors du commun,
- se respectent et partagent effectivement leur journée de travail, leurs repas et une certaine convivialité de soirées.
Cette petite sauterie vise à créer le premier musée d’art monumental sous-terrain au monde. Rien que ça.
Pour ce faire, la « Mine de sel de Zipa » a ouvert un tunnel de 120m sur 12 de large et 5 de haut en forme de fer à cheval.
Les parois vont accueillir 11 hauts-reliefs tandis que 11 oeuvres de marbres (travaillées en surface) seront exposées au centre de l’allée.
Une performance d’un mois
La rigolade va durer 30 jours, un mois complet à taper dans les parois de la mine par 180m de fond ou dans un bloc de marbre en surface pour faire surgir ces sculptures et hauts reliefs dont la thématique est « Ancêtres et symboles de l’origine du monde ».
Méga projet, grosse logistique et un casting époustouflant de virtuoses titrés, récompensés dont les oeuvres sont exposées partout sur la planète. Scotché!
Les artistes
Si vous en avez le loisir, tapez ces noms dans votre moteur de recherche en ajoutant sculpture pour un résultat plus direct, c’est du lourd…
22 sculpteurs de 19 pays sont conviés à cet événement majeur. Que des pointures mondiales de la sculpture monumentale et du haut-relief. La fine fleur de la fraise, le gratin du burin, des rossignols de la chignole, que dire! Des marteaux du marteau completement à la masse.
Certains ont fait 20h d’avion d’autres moins mais tous ont réglé un excédent de bagage moyen de 35kg, la trousse à outils d’un tailleur de pierre ressemble plus à celle d’un gars de la construction qu’au sac minimaliste du routard, le photophone au fond de la poche.
Qui t’es toé ?
Marie-Jo me présente non sans un certain aplomb : Kristof, blogueur québécois, il va promotionner notre symposium au pays… Hum…
Ça passe! Je suis instantanément adopté.
Carlos E Rodriguez Arango, l’âme du projet, maître d’oeuvre de l’évènement, 72 ans aujourd’hui (!) m’ouvre les bras.
Il m’équipera dès le lendemain de la triplette tee-shirt/casquette/badge officiel, le sésame qui m’ouvre la grotte de Zipaquira.
L’ambiance de cette soirée-rencontre est on ne peut plus bon enfant, « joyeux anniversaire » est entonné dans toutes ses versions, toutes les langues, l’aguardiente coule à flot. C’est Liu Yang, le chinois rigolard qui a fourni 4 oeuvres au village olympiques de Benjing qui sert et resert les dosettes.
Cette étape de mon voyage prend une tournure inatendue et surexcitante.
Durant les jours qui suivent, je vais accompagner le groupe dans sa découverte du site, son installation sur le chantier et les premiers coups de marteau-piqueurs.
Carlos E Rodriguez Arango, el patron
La video n’est pas très difficile à comprendre, elle cite les nombreux pays où Carlos a laissé ses oeuvres, raconte le sauvetage titanesque qu’il a mené de la vierge de Carmen frappée par la foudre et cite rapidement certaines oeuvres majeures dont: La création d’Adam; Oui, celui du plafond de la chapelle Sixtine, mais en 3D et en marbre… Laquelle sis au coeur du coeur de la cathédrale de sel.
Un look raccord avec sa condition d’artiste, son enthousiame est communicatif, il rayonne, il irrise. Autour de lui, toute forme de pessimisme s’évapore.
Je le vois jongler avec mille problèmes d’organisation, de logistique, d’outilllage, de paperasse sans jamais se départir de son sourire, de sa gentillesse. Il accorde du temps à tous, en donnant l’impression que tu es la personne la plus importante de sa journée… Impossible de ne pas accrocher.
Carlos songe à la création de ce musée sous terrain depuis 1981. Réticences, restrictions plus embûches administratives, politiques, financières et covidiennes n’ont cessé de s’empiler à la porte du projet… Sans jamais écorner sa vision et sa volition.
Une opiniâtreté qui confine à la pertinacité. Personnage au delà du mot lui-même, Carlos Eduardo Rodriguez Arango est un Roc au service de la pierre.
Jour 2: Découverte de la mine de sel
Tel un groupe de touristes, le symposium descend vers la cathédrale de sel pour la 1ere fois. À chacune des 13 stations du chemin de croix taillé dans la galerie qui mène à la nef, le regard des sculpteurs prend l’ascendant sur celui du touriste. On ne se refait pas.
Chaque station (dotée d’un crucifix taillé dans la pierre) est sujet à échanges, appréciations, questionnements, commentaires à propos du minerai et de la capacité à le travailler.
Le groupe marque un arrêt sur « la création d’Adam » au coeur du coeur de la Cathédrale de sel, un guide explique à son groupe les symboles contenus dans l’oeuvre, son commentaire est interrompu:
« et l’artiste est justement parmi nous! »
Surprise des visiteurs, applaudissements, selfies en chaine…Carlos reçoit l’ovation et se donne en anecdotes et en image: Séquence instagram.
Des parois de roche composites
Je regarde ces murs d’un oeil de grimpeur, une masse de mille teintes de gris à l’évidence solide, marqués par de gros agrégats de cristaux (de sels naturellement) et des poches d’anthracite terreuse, très noir super friable. Un amalgame pas forcément joyeux mousquetons à la ceinture, mais ce n’est pas le sujet!
Une fois sur le chantier
À l’évidence, travailler ce matériau sera une première pour la plupart des artistes.
Chacun s’approche des parois, s’en éloigne, les scrute, les déshabille du regard, en caresse la surface, se glisse à l’intérieur et s’imagine.
Quelques petits coups de masse pour écouter le mur chanter, en analyser l’écho…
Échanges d’impressions, de vibrations, les visages s’éclairent, les sourires sont à 10h10. Je ne vois plus que des anges.
Chacun se fait une idée des forces et des faiblesses de ces murs dont les variations argentées trahissent des écarts de composition géologique, de résistance propre.
Le défi n’arrêtera personne, chacun saura négocier avec le matériau, s’approprier son mur et le traiter en ami.
Xavier/Javier Gonzales tombe sous le charme d’un secteur, il me parle de son approche tellurique de la discipline, il est le seul qui n’ait préparé aucune maquette, aucun dessin. Il a besoin de ressentir l’espace et la pierre qu’il va façonner pour que l’oeuvre monte en lui comme une évidence.
Aléas encore… Le soir les espaces de la galerie sont tirés au sort, il en gagne un autre…Ooops. Le lendemain il sera le premier à sortir une forme tangible de sa meuleuse et m’expliquera sa vision de l’oeuvre dans son ensemble.
Une tranche de voyage exceptionnelle
J’accumule en trois jours plus d’interactions, plus d’amitiés qu’en 45 jours de voyage (et je ne suis pas souvent resté seul). Je partage certains repas, échange énormément, ressens beaucoup d’enthousiasme, apprends des cheminements de carrière (de marbre 🙂 ) comprends certaines frustrations:
- Le bloc de marbre d’Ikram Kabbaj est plus petits que la taille commandée, ça va pas faire…
- Une faille dans la pierre de Majid Haghighi, lui impose un changement total de projet. Aïe
- Une lame de scie, un outil attendu qui necorrespond pas totalement au besoin de X ou Y…
- etc, cet article pourrait faire 10 000 mots.
Un après l’autre Carlos règle ces problèmes de démarrage, accède à chaque demande, peu à peu, les quelques fronts inquiets se détendent.
Durant cette immersion, Marie Jo reste mon interlocuteur privilégié, sa terrible patience s’accommode aimablement de mes questions de novice. D’elle et de bien d’autres collègues j’apprends énormément sur les techniques, les outils, les démarches artistiques, l’extrème humilité de ces artistes et leur choix de vie qui n’est pas sans être ingrat (…et pas seulement au Québec).
Je ne conte ici qu’une fraction de mes ressentis, des situations chaleureuses, drôles et des émotions fortes vécues. J’ai reellement pris en affection le groupe dans son ensemble et j’ai bien de la peine à le quitter.
D’ailleurs, rien ne dit que je ne reviendrai pas avant la fin du symposium, je crois qu’il me faudra mieux que quelques photos des projets réalisés.
Fin juillet les sculptures de la surface rejoingnent la galerie au fond de la mine
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* « Sculpteure », le féminin adopté par Marie-Josée
*Officellement le nom de l’évènement est « Primer simposio internacional de escultura monumental y primer museo subterraneo de esculrura monumental » C’est facile le castillan non ?
Chronologie du voyage:
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