Le jour où je suis tombé sur cette image, ce fût à la renverse!
J’ai vu un paquebot fendant le ciel, un château fort suspendu, une île sur les nuages, un « truc » à l’écart de tout.
Pétulant, j’ai pensé: C’est-où, j’veux-y-aller.
Alors j’ai cherché, j’ai trouvé, pis j’ai lu.
Durant des années, j’ai mis le Mont Roraima dans mon grand sac des choses à faire durant ma prochaine vie, n’y croyant que mollement tant ce massif me paraissait lointain, isolé, logistiquement complexe et d’accès coûteux.
Deux décennies plus tard… Ce sera cette année ou jamais. Depuis Manaus, Boa Vista n’est qu’à 12 heures de bus, ça entre dans mon périmètre.
Au mirage succède une réalité.
Tepuy or not tépui
Tépui ou tepuy signifie « montagne » et « Maison des Dieux » en caribe la langue des Pemons, les autochtones du coin.
Deux orthographes pour ces montagnes tabulaires situées au sud du Venezuela, au centre-ouest du Guyana et tout au nord du Brésil. Les plus hauts des 115 tépuis répertoriés dominent l’immensité inhabitée de la Gran Sabana (Grande Savane) au sein du Parc National de Canaïma (patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1994).
Curiosité à part entière, cette triple frontière est bornée d’un tétraèdre à 2800m d’altitude sur le plateau du Roraima.
Il y a de quoi se demander ce qu’avaient fumé les gars qui ont crayonné cette démarcation… Trois pays, pas un douanier… C’est ben la peine! (d’ailleurs je ne m’y suis pas rendu).
Tépui 101, les bases
- Ces reliefs aux escarpements verticalissimes sont identifiés par les experts en géognosique parmi les plus vieilles formations géologiques de la Terre.
- Les quartzites et le grès rose qui les composent ont vu le jour il y a plus de deux milliards d’années, durant le précambrésien (et non près du Cambrésis, hein!), la vie sur Terre n’en menait pas large.
- 70% des plantes et bestioles qui vivent là-haut sont endémiques, certaines sont propres à un seul tépui.
- Les contours verticaux des tépuis sont le résultat de l’érosion après le soulèvement des plateaux.
- La pluie creuse des grottes et des réseaux aquifères qui alimentent des giga-chutes comme le salto de angel, candidate au titre du plus grand saut d’eau sans interruption (807m) et plus haute cascade au monde (979m en sa totalité) qui dégringole du tépui Auyan, pas si loin de là.
Voir cet excellent article plus érudit que moi et bourré de photos prises du ciel.
Prévoir une semaine au moins
Ce qui différencie le Roraima d’une montagne pointue, c’est qu’arrivé là haut, l’aventure ne fait que commencer.
Plate de loin, mais loin d’être plate, ses 30km2 d’aire sommitale présentent des dénivelés de plus de 150m. Les parcourir s’approche de l’aventure.
- Reliefs relevant du fantastique
- canyons
- gouffres
- grottes
- cascades
- piscines / fosse aquifère
- flore
- cristaux
Nous y passons deux jours et demi /trois nuits riches en émotions. Une journée ou deux supplémentaires là-haut* n’auraient pas été ennuyeuses…
Monter au Roraima: Rando, expé, trek?
Ni randonnée, ni « expédition », trekking est le terme le plus approprié pour ces 7 jours en autonomie complète et en région isolée difficile d’accès.
Pas d’escalade, pas d’alpinisme non plus, l’itinéraire demande un peu d‘engagement, mais reste très loin d’une progression technique propre à une course en haute montagne.
Je dirais que les qualités nécessaires pour entreprendre l’affaire sont:
- Avoir deux jambes en état de marche
- Ne manquer ni de cœur, ni de détermination
- Endurer la chaleur humide tropicale
…et les nuitées « à la dur »
Ami lecteur, note s’il te plait:
Je réalise ce trek la dernière semaine de mars 2024. Les conditions climatiques, d’eau dans les rivières et de températures furent, quelle aubaine, des plus faciles à gérer.
Il ne faut pas les généraliser. La Gran Savana vit au rythme de saisons plus ou moins humides. Pour notre part, la pluie eût le bon goût de ne pas tomber durant nos déplacements.
Jour 1:
Boa Vista / Rivière Tek (Camp 1)
- Transport terrestre:
Boa Vista-Santa Elena-Pacaraima. - Marche vers le camp 1:
13km « vendus » pour 4-5 heures de marche; - Déguisement :
Pantalon, manches longues, Panama ou autres protections lacto-huileuses contre le soleil. - Naviguation:
98% à l’ombre-zéro, je recours à mon parapluie-ombrelle une partie du chemin.
Cette marche d’approche traverse un paysage tout en rondeurs qui abandonne les bosquets des premiers pas pour des vallons aux allures d’alpages… sans les troupeaux.
Esthétique, le chemin serpente, adoucissant les volumes qui s’enchaînent, s’ajoutent, se multiplient.
Il s’amuse avec les déclivités, tantôt les contournant, tantôt les attaquant de façon frontale. L’itinéraire aligne monticules, antécîmes et d’immenses lignes droites sur une terre jaune craquelée parfois rocailleuse.
C’est agréable, ça monte ça descend, ca monte ça descend, les ruisseaux qu’il traverse désoiffent le marcheur de façon régulière.
Aucune difficulté sauf peut-être la chaleur humide qui s’ajoute aux sueurs de l’effort. Ces trois/quatre heures constituent un bon tour de chauffe.
Le camp 1 accueille autant les candidats en quête du tépui que ceux qui en descendent, ça peut faire du monde.
Particulièrement organisé, très civilisé même, il est ravitaillé par quelques mobylettes autorisées… On y trouve de la bière!
Petite frustration, le Roraima n’est pas visible du camp, on ne fait que deviner le Kukenan, son voisin de ruelle, à travers une brume persistante. Ça a quand même de la gueule.
Jour 2:
Rivière Tek / base du tepuy (Camp 2)
Baguenaudage
- Marche: 10 km, vendue pour 5 heures, altitude max 1870m
La distance du jour, sans doute trop courte pour occuper une honnête journée de trekkeur, est saucissonnée à dessein.
4 Arrêts:
- Franchir la rivière trek en chaussettes;
- Franchir la rivière Kukenan en chaussettes;
- Détour-photo vers une chapelle
- Détour vers une cascade, plongeon, bronzette…
Ambiance camp d’ados. Photos de groupes, selfies, rigolages bruyants, j’te pousse dans l’eau, je saute du rocher, plouf.
Tout cela me parait bien loin de l’état d’esprit d’une équipe de randonneurs venue en découdre avec le relief.
Cela dit, cette musardine journée est couronnée d’une nuit positionnée juste sous notre convoitise.
C’est grand, haut, majestueux, impressionnant. Mon bonhomme intérieur me souffle: « C’est-y pas fin fou d’y être finalement? »
L’ascension, c’est pour demain
Jour 3:
La Rampe / Camp d’altitude « hôtel Tuwasen » 2700m
Journée décisive de l’ascension.
1000m de dénivelé qui réclament 3 à 5 h d’attention. Seul accès naturel vers le plateau, la rampe est une marche exigeante à forte pente émaillée d’obstacles.
La première section, très verticale impose de garder les mains libres pour saisir prises, branches qui permettent de progresser, on peut parler « d’escalade » dans le 3,5. C’est un poil physique mais il n’y pas lieu d’hurler à la mort.
Deux tiers boisée, donc tempérée, l’ascension n’est pas vraiment harrassante.
Nous allons passer de 30 à 13 degrés en une petite demi journée, toujours entre moiteur et brouillasse suintante.
Incantation à la montagne
Au premier tiers du chemin, les mains apposées sur une dalle bien spécifique de la falaise, chacun demande la permission à au tepuy de le gravir. Serge, notre guide pemon nous conte une croyance locale attachée à ce rituel, attention religieuse du groupe, j’aime bien ce petit moment d’humilité.
Pourtant force est de constater que le tepuy garde le silence.
« Qui ne dit mot consent » dit le proverbe alors on enchaîne.
Il ne reste plus alors qu’un beau chaos de pierres à négocier pour finalement sortir sur le plateau sommital du Roraima, le sentiment du devoir accompli.
Casse-croûte!
On remet ça pour une heure de marche jusqu’au lieu-dit « Hôtel Tuwasen », un espace en surplomb naturel sous lesquels nos tentes resteront au sec. Aux proches alentours, une retenue d’eau se met au service de nos indispensables et fraîches ablutions.
Cette première traversée du plateau est un émerveillement, le chemin se fraye irrégulier, entre les rochers et un sable rose. On marche sur les crètes basses de rocs érodés souvent à fleur d’eau. Il faut sauter de pierre en pierre, changer d’arête, c’est très ludique.
Gare toutefois à poser le pied correctement, une entorse nous couterait fort cher.
Reliefs ciselés par des millions d’années d’érosion, ces formes noires aux profils dégoulinants transportent l’imagination, il y a du Dali dans ce paysage.
Jour 4:
Explorer le plateau
Les lieux répertoriés du plateau sommital sont nombreux, les spots instagramables prolifèrent, chacun portent un nom:
- La fenêtre… où le visiteur se fait peur en s’approchant du vide;
- Les jacuzzis… qu’on imaginait chauds
- La pierre Maverick… vrai sommet du Roraima à 2820m;
- Les grandes cascades (on s’y douche bien frais);
- Divers miradors/points de vue;
- Les cristaux;
- Les rochers aux profils identifiables près desquels on chemine (Crocodile, tortue, bouche ouverte ou équilibristes, etc)
Je touche minéraux et végétaux, prend des photos de plantes aux feuilles à la fois minuscules et épaisses (type cahoutchouc), des fleurs qui se battent pour croitre et dont le coeur est souvent gorgé d’eau.
Anectode du jour 4
C’est à la veillée que, solennel, Serge nous annonce qu’il a un cadeau de la part de l’agence. Il remet à chacun une enveloppe noire.
Stupeur et tremblement!
Elle contient des messages d’amitiers et d’encouragement de mes plus proches compères et autres familles.
La lecture est réconfortante, elle me fait sourire, plutôt bien vu ce petit « moment émotion »
Cette manigance de l’agence me va droit au coeur.
Merci les-gars-les-filles, merci à tous qui avez pris le temps de jouer le jeu.
Jour 5:
Explorer le plateau: 2e couche.
La bande part à l’assault d’autres incontournables du plateau sommital (dont la triple frontière) pour une promesse de 32 km en 8h.
Conscient de la journée qui va suivre et de mes limites articulaires crurales, je ne vais parcourir que la moitié de cette balade seulement accompagné de Valentino et Bernardo.
- Mirador de la cathédrale,
- canyon de la Grietta et
- la Grietta.
Des formations géologiques gigantesques aux proportions inattendues.
Pour la petite histoire la grotte qui file vers le coeur du tepuy reste à ce jour très mal explorée
J’élude ainsi un bon 4h de marche et les sites comme
- La borne triple frontière et
- la fosse (dommage)
- et plus …
Serge nous vantera aussi la partie la plus lointaine du Tepuy (au Nord, côté Guyana et Brésil) riche de ses différences: Végétation plus dense, large rivière, animaux … Si le Roraima vous trotte dans la tête un de ces quatres, faites le plein, allez-y 9 jours.
Jour 6:
Deux étapes en une
Descente,16 km planifiés en 7h. on retourne directement au camp 1 (Rivière Ték), la distance cumulée des jours 2 et 3.
Cette fois, j’attaque la descente avec les porteurs, on dévale la rampe plûtot fissa.
C’était attendu, cette dégringolade se comporte en impitoyable garce pour mes vieux genoux… et comme la pause en bas va durer plus d’une heure…
Repartir à froid sera douloureux au point que je vais traîner de la rotule comme un malingreux sur les derniers 5km de l’étape.
Le camp 1 enfin atteint, une Skol va me réconcilier avec cette piteuse section retour.
Ah! la première gorgée de bière!
Jour 7:
Déjà rentrer
Simple formalité (relire le jour 1 à l’envers), ces dernières 4 h de marche jusqu’aux autos sonnent le glas de l’aventure. Le Roraima est déjà loin derrière…
Merci aux Vénézueliens de la logistique.
Un confort de club med, des chaises de camping, des repas chauds élaborés (légumes, fruits frais). Menus adaptés pour les végés/végans! Le thé, les petits gâteaux à 17h! J’en reste médusé.
C’est avec eux que je copine chaque jour. À peine arrivés aux camps, ils se dédient au confort de notre quotidien. Aucun glandeur, chacun vient préter main forte au collectif, j’ai vu la lumière dans la tente-cuisine à 4h du matin…
Avant de partir je leur donne mes vêtements de montagne apportés du Québec et quelques bricoles acquises spécifiquement sur place.
Le paragraphe scato
Nature unique, écosystème à part, la préservation de cette île dans le ciel mérite toutes les attentions. Il n’est pas question par exemple d’y semer des bactéries humaines. Il s’agit donc de remporter ses affaires, toutes ses affaires.
Un porteur spécialisé est chargé de la tente cagoince, il la porte, la monte et démonte à chaque étape. Quand vient l’heure de l’offrande, le trekkeur posé sur un basique tabouret de camping adapté pousse les fèces dans une poche récupératrice. L’affaire est dans le sac, le stock sera rapporté à la civilisation par le préposé spécialisé. (Je savais que cela allait faire rire Réjean).
* Là-haut , le film d’animation Pixar « se passe » sur le Roraima et le Kukenan, on reconnait le paysage dès les premières minutes de la projection. Allez jetter y un oeil pendant que c’est disponible ici
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j’ai ça aussi pour vous