Si t’es au Brésil en février et que tu ne vas pas au Carnaval de Rio, c’est que t’es vraiment une bille.
Peut-être bien… Sauf que cette année, mon « plan au Brésil », c’est l’Amazone et le Mont Roraima.
De plus :
- Le pays étant à peu près aussi grand que l’Europe (Manaus-Rio c’est Londres-Athène ou Montréal-Calgary), 2500 km, 3 jours de bus, ça fait un méchant détour.
- Je redoute la difficulté et l’envolée des coûts d’hébergement lors d’une fête aussi internationale.
- J’ai un petit côté agoraphobe qui freine mon enthousiasme.
Oui… Trop immense pour moi cette année.
L’ubiquité étant l’atout maître du carnaval au Brésil, je me suis cherché un « régional », un tranquille.
Après analyse, j’ai pioché Sao Luís, capitale de l’État du Maranhão.
Et j’ai bien fait.
Histoire éclair
Sao Luís est la seule ville brésilienne fondée par les Français. Ça se passe en 1594, Luis, c’est pour Louis XIII.
Très vite, les Français se la font piquer par les Hollandais (1614) qui se font eux-mêmes bottés en touche par les Portugais (1642).
À partir de là et jusqu’à l’indépendance (1822) ces derniers vont frénétiquement carreler le centre-ville.
Et ça fait de la faïence! Mais c’est ce qui permettra à la ville d’être inscrite au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO en 1997.
On me raconte, hum, que les subsides liés à cette distinction ne seraient « pas tant que ça » employés à la rénovation des bâtiments coloniaux. De fait, la ville pourrait bien perdre cette qualification prestigieuse.
Le centre historique n’est pas moche mais c’est un fait, les rues affichent une quantité peu commune de façades étayées, bâtiments-coquilles, carcasses exsangues en attente d’une hypothétique rénovation-reconstruction.
Localisations du carnaval
J’arrive le samedi vers 15h, traverse le centre-ville pour rejoindre mon auberge, peu d’autos circulent, boutiques et restaurants sont clos, la ville semble morte. C’est presque louche.
Je ramasse auprès de ma logeuse un peu d’info.
Quatre sites sont à portée de marche:
- Beira-Mar: Une scène géante taillée pour les spectacles d’auras majeures. Tours de chant, danses, effets spéciaux, l’espace ouvert peut accueillir des milliers de spectateurs. La place est bordée d’une large avenue idéales pour les parades géantes.
- Praça da Saudade: Un itinéraire aux rues étriquées du quartier madre deus 100% dédié aux blocos (les groupes culturels ethniques, équivalents des quadrillas à Riosucio)
- Praça da Merces: Une aire créée cette année nommée « cidade do carnaval » le temps des festivités. C’est un ensemble de scènes qui permet des spectacles simultanés. L’esprit y fut plus festival que carnaval
- Sambodromo: Un bout de route fermée, bordée de tribunes, peinte en blanc dédiée aux chars allégoriques et aux prestations des écoles de samba.
Et à une heure d’autobus urbain:
- Praia Litoranea: Un bout de la route littorale bloquée pour l’occasion. Des monstres-camions-scènes ambulantes (appelés trios) entrainent les festivaliers les plus débridés.
Une semaine de carnaval
Ils mettent en relief les populations, les cultures qui ont fait l’État du Maranhão. Le spectateur perçoit l’identité de chaque groupe et la logique qui les font se succéder dans les parades, comme ils le firent au cours de l’histoire.
- Conquistadors
- Esclaves afros, (Dahomey-Bénin, Togo, Cap Vert, etc)
- Esclaves créoles (Jamaïque, Antilles)
- Nobles européens, personnages et moments historiques.
De la coiffe de plumes qui illuminent les chefs de tribus au beaux habits bourgeois en passant par les jupons blancs de l’esclave africaine, chacun porte et défend fièrement un fragment de l’histoire du Maranhão.
Un soir à Beira-Mar
17h, je me presse vers Beira Mar, sur la berge du rio Anil à l’embouchure de l’Atlantique.
J’ai un pet de retard pour la parade qui tire à sa fin mais suis en avance pour le show. Je tire quelques portraits et comme y’a pas trop de monde, je file me poser juste sous la scène.
La foule se construit, s’amoncelle, se tasse sans s’étouffer. Le spectacle commence, c’est l’un des blocos qui se produit, étincelant dès les premières notes.
La chanteuse, une milléniale, du genre robuste à l’ouvrage, justaucorp rouge à paillettes, bonnet D, diadème fleuri est visiblement prête à en découdre.
Elle propage force megajoules à un public qui s’accroit, une foule dont la tension grimpe au fur et à mesure que la nuit tombe.
Au pied de la scène, sous mes yeux, les danseurs du groupe assure une prestation survoltée. Ils-elles aussi dispersent une energie peu commune.
Filles et gars ne se départissent jamais de leur sourire, la sueur en cascade ne ralentit pas leurs mouvements de hanches branchés sur le 220. Ils-elles virevoltent sur des tempos extraterrestres. Je voudrais être vidéaste pour vous retranscrire cette ferveur.
La meneuse et ses deux choristes entonnent des airs que tout le monde connait. 99,90% de la foule accompagne, danse et répond aux ordres glissés entre les paroles. Des milliers de gens les bras en l’air sautent à répétition, arrivent à suivre ces rythmes qui se trépignent plus qu’ils ne se dansent.
Um dois três:
Moro
Num país tropical
Abençoado por Deus
E bonito por natureza, mas que beleza
Tiens, écoutez au moins une minute de ce clone.
Si vous êtes en France, ça fonctionne.
Si vous êtes en Amérique du Nord, vous êtes privé de l’image, désolé, le web a ses têtes
Les titres s’enchainent sans une seconde de répis.
Ça dure, ça dure comment font-ils? J’arrive à peine à suivre en tapant la mesure du bout du pied.
Après une heure exactement, on change de troupe et on remet ça. Je reste un spectacle de plus, puis un autre. En l’air, un drone bourdonne en tournant des huits et des vidéos. Le lendemain les journaux avancent un entassement de 200 000 barjots et moi et moi et moi…
C’est ahurissant, démentiel, j’écarlate de rire d’être coincé là-dedans. Je tourne la tête de temps en temps, les Brésiliens ne sont majoritairement pas grands, mon mètre 71 suffit pour dominer une bonne partie de la marée humaine. J’ai moins le sentiment de submersion lorsque je décide de m’extirper de la nasse vers 22h
Les groupes vont s’enchainer jusqu à 3h du mat’… Ayant passé ma dernière nuit dans le bus, faut que je dorme.
Praça da Saudade (Madre Deus): Le carnaval de rue
Madre Deus, c’est un peu le Wazemme* de Sao Luis. Un quartier populaire aux rues étroites aux places ombragées de dimensions conviviales, bordées de maisons en briques qui ne dépassent pas le 2e étage.
Les « dépanneurs » ouverts sur l’extérieur, micros-terrasses de bars et cafés entretiennent la cohésion d’une population sans prétentions. On s’y retrouve pour jouer aux cartes, aux dominos ou refaire le monde une bière de 600ml à la fois.
Les gens sont avenants, ils accueillent mes questions avec gentillesse et sourires, mon portugais s’y fluidifie.
C’est dans ces rues que les « blocs » dits traditionnels défilent pétillants, coruscants de satins criards, débordants d’élégance. Les parades n’ont rien d’une improvisation, elles combinent talents de danseurs, de musiciens, de percussionnistes en des chorégraphies très travaillées. Costumes, rythmes, charisme colorient jusqu’à l’air qu’on respire.
La foule accompagne le défilé plus ou moins sagement. L’exiguïté des rues favorise la proximité. On se protège éventuellement des salves de maïzenas qui blanchissent la face et collent à la peau dès la première goutte de pluie ou de sueur…
À tour de rôle, les blocs marquent une pose dans le parcours, squattent les petites scènes érigées pour l’occasion sur les croisements de rue et donnent le meilleur de leur récital.
D’autant plus à l’aise qu’un bon nombre de ces groupes sont originaires du quartier, ils sont chez eux pour briller et ce n’est pas cette monstre averse qui les arrêtera.
Ils sont beaux, elles sont belles, ils le savent. Ils se plient volontiers au jeu des poses souvenirs avec un public qui en redemande.
Ça mitraille, ça shoote, ça selfie de partout, sourire constant, admirable.
Praia Litoranea
à une heure de bus (Bus San Francisco, demander au chauffeur, il vous arrête à 10mn de marche)
Plantons le décor:
- 400 mètres périmètrés au bord d’une plage immense;
- Des tribunes pour se protéger de la chaleur intense;
- Des camion-remorques transformés en scène de spectacle, tiré par « les gars en noir » (moteur du camion interdit);
- Chaque camion dispose d’une heure pour parcourir la distance, puis, on passe au suivant.
- Les fêtards accompagnent le véhicule durant son show;
Si les orchestres sont haut perchés, le spectacle lui, est au sol. C’est le public qui tient la vedette. Il bamboche plus ou moins déguisé, plus ou moins vêtu.
Expression artistique, parade colorée, public en folie, le carnaval est probablement la manifestation culturelle la plus universellement propice à la déconne. Qu’il soit classieux (Venise), gigantesque (Rio de Janeiro), ou très axé sur le chahut (Dunkerque), les gens s’y rendent en spectateurs impliqués.
Ici, la notion de costume ou de déguisement est très relative tant le minimalisme fait loi.
- Un nez rouge fait de toi un Clown;
- Un « serre tête cornes » te transforme en Viking (à s’y méprendre);
- Un bicorne et te voilà pirate.
Je croise un diable en tutu et trident rouge très convaincant, le Dionysos de la photo est un perfectioniste, c’est sûr!
Twerk en groupe, tee-shirts mouillés, transparences calculées, le mieux est d’apprécier en connaisseur. Il y a là par exemple, deux fliquettes potentiellement capables de me réconcilier avec la maréchaussée.
Attention, projectiles à tout va! Pendant que le festivalier frétille sur les rythmes du camion, le risque est grand qu’il soit la cible.
- des flingues à serpentins,
- des mitraillettes à confettis,
- du canon à mousse,
- de la lance à incendie (camion citerne de la mairie!),
- des épandeurs de maïzena.
Il y a enfin des pétards qui détonnent et d’autres qui étonnent
Plus fiesta que Carnaval, le lien le plus fort que garde cette manifestation avec la notion de fête momesque, c’est la samba qui dégouline des hauts-parleurs surpuissants.
Mon conseil: Pour s’impliquer correctement, mieux vaut laisser toutes inhibitions et morale coincée au vestiaire. Vous êtes prévenus.
Et les fameuses écoles de Samba ?
À Sao Luis cette année, un contentieux perdure entre les écoles de samba et leur pourvoyeur de fond: La mairie.
C’est vrai, que a prefeitura (faux ami: traduire la mairie) ne manque pas de faire savoir qu’elle est la grande argentière du carnaval. Des affiches géantes aux stickers à frigo, elle est omniprésente (…On vote le renouvellement de son mandat cette année…)
Il n’en reste pas moins que n’ayant pas reçu leurs subsides à temps, les écoles de Samba ont annulé leur participation au carnaval. Gonflé!
Grosse affaire, scandale, discussions, négociations; un terrain d’entente est trouvé mais un peu tard. Elles n’exprimeront leur talent que les 23 et 24 fev soit deux semaines plus tard, le pognon dans la poche…
Pour ma part, je file au parc de Lençois mais prends la décision de revenir à Sao Luis, afin de boucler la boucle.
2 semaines plus tard c’est l’heure du Défilé des écoles de samba au sambodromo Sao Luis