Bien qu’alanguie au soleil sur une ligne de crête toute en rondeur, Salamina, n’a rien d’une fville facile. Trois routes serpentent autant que nécessaire pour acheminer les candidats à l’isolement sur cette épaule de la cordillère aux tombants vertigineux.
Le bus s’arrête à la caserne des pompiers, la bille bleu de Google map me situe à 400m du kiosque au Parque central où German m’attend. J’emprunte la très affairée rue du commerce, la circulation est bruyante, les gaz d’échappements tannants. L’artère est une enfilade de boutiques dont la quantité de barreaux métalliques et de rideaux déroulants surpassent largement les portes en bois colorées auxquelles je suis sensible.
Le fait est que Salamina apparait moins vénale que les zocalos de Guatapé, elle n’a ni la convivialité de la place principale de Jardin ni l’élégance classieuse du vieux Carthagène.
Ses façades sont majoritairement blanches, ternes et fatiguées. Les touches de couleurs urbaines ne sont qu’éparses, beaucoup moins massives « qu’à l’accoutumé » de mon voyage.
Ce premier abord ne me séduit guère, manquerai-je d’indulgence ?
Honte à moi.
Trop gâté depuis 3 mois, insatiable, j’ai placé la barre de mes attentes au sommet de poteaux olympiques.
Cette impression s’estompe dès le lendemain :
Je:
- remarque que l’effort de mise en valeur des maisons s’est concentré sur les portes, les fenêtres et les balcons plutôt que sur les façades dans leur entièreté,
- découvre et décrypte les fresques de Luis Fernando Toro réparties dans la ville,
- rentre dans l’église, pardon, la basilique Sainte-Marie de l’Immaculée Conception dont les vingt cinq mètres de large ne rencontrent aucun piliers… Bluffantes les poutres tranversales!
- remonte le village jusqu’à sa vue panoramiquo-envornante sur les reliefs du Caldas.
- rencontre et discute avec une quantité de cavalleros comme jamais jusque-là, (y compris à Riosucio).
Retour au Caldas
Exploitation minière, élevage laitier, pisciculture de la truite complètent les récoltes « traditionnelles » de robusta, platanos, yuca (Ñame, Manioc), fruits et légumes tropicaux du Caldas. Pourtant depuis quelques années, un trublion bouscule l’esthétique du massif à grand coup de déboisement.
L’Avocat s’arroge des droits
Un chilien en manque d’espace s’est installé sur plusieurs flans de la montagne pour y planter des avocats Hass, une ressource plus rentable encore que le petit grains rouges forts en alcaloïde.
Deux espèces, deux destinations, si l’avocat local (porsemilla) est gustativement fin, énorme et juteux, le Hass l’est surtout pécuniairement.
L’avocat colombien (el porsemilla), lisse, vert-amande, énorme, onctueux est casanier. Sa délicatesse ne supporte pas l’expédition outremer à l’inverse du Hass vert/noir à peau épaisse et granuleuse qui s’accommode sans frémir de son exportation mondiale.
(La preuve, c’est celui que vous achetez à IGA ou à Auchan).
Des hauts de Salamina, le regard porte sur des hectares de ces plantations ordonnées, rationalisées géométriques et…clôturées de kilomètres de barbelés limitant la « randonnée transversale » improvisée dont j’ai fait ma spécialité, mon truc, mon plaisir solitaire.
Frustration.
Je remarque aussi un palmier exceptionnellement « haut sur tronc » au top duquel culmine tout au plus, une dizaine de feuilles pennées.
Son allure de grand con mal peigné, un peu perdu qui contemple, benêt, l’agitation au sol a quelque chose de cocasse et d’irrésistible. J’apprends que c’est un palmier de cire, l’arbre national colombien.
J’irai marcher sur ses traces dès le lendemain à St Félix dans la vallée de Samaria.
Luis Fernando Toro
Luis Fernando Toro à modelé ses immenses fresques de ciment peint aux quatre coins du village, bandes sculptées plutôt que dessinées, historiques et vivantes elles content:
- Sur la carretera 8: l’histoire du bourg à travers ses métiers;
- Sur la calle 4: les personnages qui ont fait Salamina;
- Sur la rue principale: une représentation cartographique en relief de la région à la gloire des paysans et de leurs activités.
On trouve d’autres œuvres dans les commerces comme au café Calicanto où une fresque digne de Brueghel l’ancien dépeint la vie quotidienne du siècle dernier.
Je prends le temps de lire ces tranches de vie, regards sur le passé qui ne manquent ni d’aisance ni d’humour. On y découvre des scènes aux mille détails dans lesquelles chaque personnage révèle un quotidien sans faux semblants, débridé et toujours souriant. L’œuvre du maestro Toro oublie volontairement les thèmes de la guerre et de la politique pour se concentrer sur la culture propre à Salamina et la vie de ses contemporains.
Autodidacte, il a puisé son toucher au cours de ses voyages et visites aux musées. Entre douanier Rousseau et Jérome Bosch, il affirme sa personnalité. Innovant, l’artiste préfère mettre son travail à la disposition des passants, cette exposition publique permanente est originale et non subventionnée… Bravo l’artiste.
El Polo
Véritable institution, El Polo, la cafétéria de Marco rue du commerce est un saut dans le temps, le rituel du café, une grand-messe.
Établissement centenaire, patron d’origine, les deux cafétéros (= faiseux de café) fêtent leurs 70 ans de boîte*. Ils portent fièrement la blouse-uniforme bleue marine floquée « El Polo »
Obligeants, courtois de naissance, ils transpirent la noblesse de l’artisan qui perpétue le geste et la manière au mépris de la technologie pressée. Solliciter Marco d’un expresso c’est embarquer dans un rituel que l’Unesco ferait bien de classer avant qu’il disparaisse.
Dos arqué, le pas languissant, il rejoint sa gréca, un percolateur rutilant directement issue d’un roman de Jules Verne.
Marco chauffeur de Gréca
La Gréca doit préchauffer une heure avant l’ouverture de l’établissement afin de garantir la température de l’eau et la mise sous pression de la vapeur.
Fascinant, ce « perco » est doté, d’injecteurs, de robinets à vapeur, de purgeurs, d’un régulateur de pression, d’un manomètre et d’un « hublot » pour le niveau d’eau. La partie supérieure est surmontée d’un aigle aux ailes déployées, symbole de puissance et de domination. Ça en jette grave!
Corps en cuivre et bronze, accessoires et tubulure en acier inoxydable, robinets en bakelite, chaque élément de ce vaisseau se manipule au millimètre avec science et maitrise. La chose est dotée de « deux sorties », l’un pour la café de famille (tinto) l’autre pour l’espresso.
Un espresso por favor
Le café est frais moulu, qualité exportation me dit Marco!
Après avoir serré le porte filtre, le concentré s’écoule lentissimement dans un contenant intermédiaire.
Un œil sur le manomètre, l’autre sur ce goutte à goutte, Marco réalimente l’arrivée d’eau grâce au robinet du bas en une ouverture/fermeture éclair.
Il recueille un peu du concentré dans ma tasse, passe illico au robinet supérieur pour y ajouter un peu d’eau bouillante qu’il surchauffe de trois jets de vapeurs hurlante via le bec idoine de la partie haute de la machine.
Retour au goutte à goutte, dépôt de quelques millilitres supplémentaires de l’extrait avec délicatesse, le filet de café coule le long de la tasse Marco applique un mystérieux mouvement rotatif de la main durant cette étape.
De nouveau le robinet d’eau un dixième de seconde puis un jet de vapeur supplémentaire.
La tasse passe d’une fonction à l’autre, la main du chef ne tremble pas, elle est d’une précision horlogère.
Un soupçon de panella, l’expresso est servi sur sa soucoupe par le maitre resté impassible. L’opération lui a pris une minute 15 de concentration.
Saturé de substances psychoactives cet expresso est une bombe à tachycardie, il est noir absolu, noir Anish Kapoor.
Anecdote économique
Cette Greca vaut 8 millions de pesos. À 700 pesos la tasse, il en faut en vendre 11430 pour amortir l’investissement – sans compter le café et le gaz qui chauffe la bête… Je me demande s’il existe un investissement plus long à rentabiliser!
German
La trentaine allumée, German dirige un bureau de poste privé du genre DHL. Il préfèrerait vivre à plein temps du métier de guide culturel et transmettre ses fines connaissances du pays à de moins rares visiteurs.
Son amour de Salamina n’est pas feint, il est sans fin. Riche de culture et d’histoire locale, photographe éclairé , il arpente villages et campagnes alentour à l’affut d’images nouvelles, d’angles oubliés.
Rencontré à Jardín avec Maria sa petite camarade de jeu, c’est lui qui m’avait “vendu”, non sans talent cette étape au Caldas lors d’un voyage en bus. Je lui avait dit « OK mais pas avant deux mois au moins « .
Bien me prit de tenir parole, on se retrouve après son travail, dinons ensemble et poursuivons la conversation de février comme si elle avait eue lieu la veille ou jamais été interrompue.
Sa connaissance de l’histoire nationale comme locale, les anecdotes du village, sa vocation culturelle, le secret du tunnel sous la place principale… chut!
Il me rend le village intime en me le racontant et en me présentant ses amis.
Il tente de se libérer pour m’emmener randonner dans la vallée de Samaria à San Felix , malheureusement sans succès, cette fois ce sera moi qui aurai quelque chose à lui raconter : la suite ici.
Merci German, je sais que tu lis ces lignes n’oublie pas de m’envoyer tes livres.
Chronologie du voyage:
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