Quand on évoque le Mexique, on pense soleil, plages, pyramides aztèques, mariachis, sombreros ou « cartel de Sinaloa »… Plus rarement alpinisme ou haute montagne.
Pourtant, fort de sa cordillère néovolcanique, l’Orizaba ou Citlaltépetl est non seulement le point culminant du pays mais aussi le 3em sommet et le plus haut volcan d’Amérique du Nord. Son cône culmine à 5 610m? 5 636m? 5 675m? voire 5 754m selon les sources… C’est de la grosse rando.
Randonnée ou course de montagne?
L’accession à ce pico est présentée par alltrail comme une randonnée engagée difficile. Les sites d’alpinisme, eux, parlent d’une course de haute altitude de niveau facile puisqu’exempte d’escalade pure, tout est donc question de références.
La réussite de cette entreprise tient en trois points:
- Maîtrise de la marche, crampons aux baskets sur la glace vive;
- Ne pas confondre acclimatation et pêche à la ligne;
- Garder un mental très affuté.
Mon pourquoi.
Ayant un certain vécu de la haute montagne, je voulais faire le point sur mes capacités physiques et psy en conditions éprouvantes.
Symboliquement, je visais l’assaut pour la semaine de mes 66 ans, un marqueur.
Cela dit: Exalté sans doute, j’étais en partant, 100% prêt à renoncer à la moindre alerte rouge, faiblesse ou condition inadéquate. Pas totalement fou l’ancien.
Avertissement:
Cet article n’a pas pour objectif de vous faire croire que c’est une sortie-montagne facile et sans aléas… Ni de vous inciter à l’envisager la fleur au fusil.
La pratique des crampons sur glace vive est essentielle, tout comme l’est une bonne tolérance aux effets de la haute altitude.
Fallait que ce fût dit.
Grimper l’Orizaba avec une agence ou un guide
La facilité consiste à embarquer avec un groupe organisé, encadré, éventuellement motivant.
- Depuis Montréal ou Paris, je vous laisse chercher sur le Web, il y en a vite pour 4000+$ canadiens, sans le vol, sans les repas en ville, les pourboires, les assurances, etc… Et en apportant tout votre propre équipement.
- Quitte à signer pour ce genre d’escroquerie, faites-le depuis Mexico ciudad, on trouve le trip sous les 1000$, voire sous les 700$ (exemple) d’ailleurs, ce sont eux et leurs 4X4 que votre guide certifié engage pour sa logistique locale.
Évidemment, ces « expéditions » de 2 jours hors éthique ne sont ni dans mes moyens ni dans mes aspirations, mon expérience au Tepuy Roraima est encore fraîche…
Depuis Tlachichuca ou San Miguel Zoapan
On trouve des agences ou des guides bien organisés qui facturent la rigolade entre 4500 et 8000 pesos (350 et 500$ canadiens).
Je dis la rigolade parce que ces derniers ont tendance à se fiche royalement de votre forme physique, de votre expérience ou de votre capacité à rester fonctionnel au-dessus de 4000m. Ils vendent une logistique express qui défie le bon goût… Mais pas le sens du pognon vite ramassé:
Jour 1:
Montée en 4X4 au refuge de Piedra Grande ou à l’Amarillo son annexe (4300m), tite marche d’une heure autour du refuge, repas chaud et abondant vers 18h puis dodo… si t’es capable!
Jour 2 (6 heures plus tard):
Réveil, café-tartines, décollage à 1h00 du mat’, direction le sommet à la frontale. Techniquement, ça pose le groupe au top vers ≅ 8h, le soleil pas trop haut.
La descente vise un retour à 14h au refuge / au 4X4 et vroum, retour cahotant dans la vallée.
Pure galéjade, jonglage avec le Mal Aigüe des Montagnes* (ses migraines et ses dégobillages épuisants), roulette russe avec la glissade fatale.
Oui, on relève quelques « entrechats manquant gravement d’humour » à l’Orizaba, c’est d’ailleurs pourquoi la voie sud (non enneigée une partie de l’année) prend du galon ces dernières temps.
Ascension du Citlaltépetl en autonomie:
On vous dira le contraire, mais la vérité c’est (déc 2024) qu’il n’y a aucune règle/loi qui oblige l’engagement d’un guide ou interdise l’ascension en pleine autonomie.
Les accès au parc et au sommet sont libres, les nuits aux refuges sont gratuites. Le chemin est tellement bien marqué qu’il suggère un hike en toute autonomie, soit un défi à portée de détermination.
Acclimatation essentielle de 8 à 10 jours.
- Dans la « même » région, quelques jours avant, allez grimper la pointe Fraile du Toluca, à 4700m environ, c’est un bon galop d’essai.
- Depuis Hidalgo: Posez votre sac à l’auberge la montanita, chez Ana et Carolina, elles assurent un petit déj’ de camionneur et un solide souper. La nuit est à 150 pesos (10$can) eau chaude solaire le soir et wifi inclus, s’il vous plaît.
Depuis le hameau, il y a un tas de chemins qui donnent accès à l’altitude 4500m+, le genre de chemins qui attaquent droit dans la pente, qui se divisent pour vous perdre dans la forêt et qui finalement débouchent sur les flancs du volcan ou dans des fonds de vallée ahurissants. - Toutes les marches d’acclimatation peuvent se faire en chaussures de rando à semelles rigides, la neige ne commence que vers 4800m+ selon la saison naturellement.
- En ce début décembre, il y a peu de risque d’avoir froid durant l’effort, portez trois à quatre pelures de qualité.
- Le parc est censé facturer un droit d’entrée mais la cabane de perception du dû 🙂 était fermée.
- Si vous voyagez sans équipement, louez-le à J-1 chez Orizaba Mountain Guide à San Miguel Zoapan:
- chaussures, crampons, bâtons de marche, sac de couchage. C’est tout ce dont on a besoin pour le sommet. (150 à 250 pesos chaque équipement)
- Je sais… Un casque! Bon, si vous voulez…Moi pas.
- Google indique aussi Mountaineering Logistics à la sortie du village. Un beau bâtiment aussi pointu que fermé lorsque j’y suis passé. Je ne sais donc pas ce qu’ils proposent.
L’ascension de jour est possible sur une météo béton, c’était mon choix dès le départ. Sinon, le volcan tendance à se couvrir d’un chapeau nuageux vers 11h avec des conséquences sur la visibilité, le froid, le vent, ça ne fait pas de doutes.
Direction le sommet en solo
7 décembre, montée à pied au refuge Piedra Grande (depuis Hidalgo 1h45 par les raccourcis, ajouter 1h30 depuis San Miguel Zoapan).
8 décembre, 7h décollage du refuge, le cratère dans la mire pour 14h. Retour au refuge ≅ 18h+.
J’avais prévu de passer une deuxième nuit à la Piedra Grande avant de redescendre dans la plaine, mais un jeune du hameau en moto tout-terrain m’a raccourci la distance et déposé gracieusement à 20mn de la montanita. (Pur coup de bol).
Je conseillerais finalement de partir une heure plus tôt.
Conditions d’ascension
- La trace est évidente du début à la fin. Commencez par suivre les marques jaunes du sentier à droite du vieil aqueduc en ciment. Un zig-zag sur sable et cailloux fuyants sur lequel la pose de pied est assez délicate surtout à la descente.
Plus haut, la trace se faufile entre les névés et finalement dessine une sente unique au centre du glacier. - Le glacier se redresse jusqu’à 40 degrés, la glace est hyperdure. Tomber, c’est glisser irrémédiablement dans la pente, l’ancrage au piolet en cas de chute est une gageure au plein sens du terme. Il est d’ailleurs plus rationnel de préférer l’équilibre qu’apportent les bâtons plutôt qu’un piolet de marche.
- 200m au-dessus des refuges, il y a des « espaces-plateformes » où planter deux à trois tentes, c’est une éventuelle façon de raccourcir la course vers le sommet d’une heure environ mais il faudrait apporter les guitounes, la bouffe, l’eau…bof )
Le cheminement est long, 1300 mètres de dénivelé pour une distance 7 à 8 km plus le retour. La pente est acceptable sur un pas lourd et régulier. Après avoir atteint l’unique vraie antécime de la voie, la voie bénéficie d’un faux plat puis reprend une pente raisonnable jusqu’au glacier. La déclivité se redresse, imposant une progression de plus en plus mesurée ainsi qu’une bonne maîtrise du souffle.
Ça attaque le ciboulo:
« C’est loin, c’est raide, ça halète, faire une micro-pause, tenir, repartir ».
14h20, je pose mon sac et mes bâtons sur les scories du sommet. Il est vaste, rond, nu de neige. Sur l’oblique, le cratère ouvre une gueule spectaculaire de 500m de diamètre. Le soleil en éclabousse la surface, il fait chaud d’autant que le vent est raisonnable. Trois, quatre degrès? Ma toute petite tuque et les gants « Jean Coutu » à 1$ me suffisent.
La trace du glacier.
Le cratère.
Au sommet une vierge a longtemps veillé sur le salut des grimpeurs. Elle est aujourd’hui terrassée par la corrosion et les affres du climat, elle gît au sol attendant sans doute quelqu’âme charitable (et une pelletée de ciment) pour être redressée.
Pas question de nier mon plaisir, entre plénitude et jubilation, la vue est surnaturelle, l’horizon est tellement loin, tellement large.
Je consomme l’euphorie du sommet de façon mesurée, à peine le tour évalué j’ai la descente en tête, la distance, la glissade, la tombée de la nuit dans 5 ou 6 heures.
Juste le temps de me selfier et de filmer le 360o degrès, et zou vers le bas.
Le 360o du sommet
PS.
Si vous avez déjà lu ne serait-ce qu’un article de ce blogue, vous avez remarqué que le ton de ce post est différent, que l’enthousiasme habituel ne transparait pas vraiment, que ça manque de Pep’s.
C’est vrai et j’ai beaucoup hésité avant de le publier.
Je le fais finalement parce qu’il apporte une information précise au lecteur dont l’ascension de l’Orizaba sans guide est le projet et qui en recherche les détails logistiques.
Le partage de l’information, c’est ce à quoi sert un blogue.
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Épilogue
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Le lendemain matin, 9 décembre, ma fête, j’apprends le décès dans la nuit de mon cousin Fréd’, 56 ans, un homme costaud, souriant, sur-gentil, adorable… salement malade.
Noirceur, sentiments d’injustice.
Ma chance de courir le monde, léger, insouciant, d’empiler les voyages, d’empiler les années tout simplement, versus la mort qui frappe un gars amène, amiteux, ne lui laissant pas la moindre chance de profiter un tant soit peu de ces années de maturité que sont celles de la soixantaine et quelqu’autres…
J’ai beaucoup de mal à passer là-dessus.
Voilà donc… Je ne suis pas romancier, je ne suis qu’un blogueur bien incapable de tricher avec mes ressentis.
Fallait que je le dise.
* M.A.M = Mal aigu des Montagnes:
La haute altitude, communément > 3000 m, soumet le corps à une baisse de la pression atmosphérique et à une densité d’oxygène dans l’air inférieure à l’accoutumée. Il en résulte une hyperventilation, donc une augmentation du rythme cardiaque.
Le mal aigu des montagnes (M.A.M) est caractérisé par différents symptômes, dont la gravité va crescendo. Ils apparaissent de quelques heures à quelques jours après le séjour en hautes altitudes.
L’effort physique intense qu’un « grimpeur » déploie a un impact sur le M.A.M. Surtout s’il n’est pas préparé à l’effort et à l’hypoxie.
La sensibilité au M.A.M est physiologique et différente d’une personne à l’autre, il existe aujourd’hui des tests d’effort sous hypoxie qui permettent de connaître cette sensibilité avant d’envisager la haute altitude.
Allez lire là dessus si vous découvrez le concept avant d’envisager la haute altitude.