Tropicale, plantée loin dans la forêt, Manaòs, village autochtone accoté aux rives du rio Negro voit s’implanter en 1669 la première colonie portugaise du continent.
150 ans plus tard, la présence massive d’hévéa impulse l’industrie et le négoce du caoutchouc, alors sans équivalent.
Ça fait Boum.
Récolte du latex, transformation et exportation de la gomme, la demande est là, la ville prospère vite et fort. Une apogée jusqu’à l’outrance et une chute colossale lorsque les anglais, vers 1920, transfèrent le tout en Asie… Moins chère. Déjà!
Quelques incontournables
Comme
- Le théâtre de l’Amazone,
- Le musée de la ville,
- Le musée du caoutchouc,
- les églises La Matriz et Sao Sebastiao
- le Palais Rio Negro
- et qq autres
témoignent irréfutablement de cette courte mais fastueuse époque qui autorisait d’accoler « le Paris des tropiques » au nom de la ville pour en souligner la richesse, la classe, la finesse… Un surnom, aujourd’hui en manque de pertinence.
La visite du théâtre révèle qu’on construit alors avec les plus luxueux matériaux de la la planète. Conçu et décoré par des artistes de pointures mondiales il reste la référence absolue de cet art de vivre des années cahoutchouc.
Manaus, bourgeoise et moderne, était en 1920 la seule ville du Brésil dotée d’un réseau électrique, d’un système d’égouts et même d’un tramway…
Et pis là?
Elle est loin l’opulence impulsée par l’industrie de l’hévéa/latex/caoutchouc (donc pneus de bagnoles).Je musarde la tête en l’air, l’œil fixé sur les façades du centro trop souvent dissimulées par les auvents de commerces.
Corniches, frontons, blasons, encorbellements centenaires affichent la noblesse d’une délicate architecture hispano-britannique en manque d’amour. Nombre de batiments dont on conserve seulement la coquille, les facades, attendent leur rénovation/reconstruction.
Mais même écaillées, noircies par le climat ou prises d’assaut par la végétation ces facades du centre historique ne manquent jamais d’allure.
Manaus en vrac
Vol éprouvant pour cause d’horaires pourrits, climat surpesant, j’explore d’un pas lourd cette ville qui pour moi, fait référence pour le pays entier.
Je relève:
- Il n’y a pas de, changeur de monnaie à la sauvette, il faut trouver des casas de cambio;
- On paye le bus au préposé en charge à l’intérieur, nul besoin de carte à puce.
- Dans les stands de rue, la bouffe est frite et systématiquement farcie de viande; en revanche les jus pressés (mangue, maracuja, passion) sont incomparables.
Ça tombe plutôt bien, Manaus est une ville où il fait plus soif que faim. - Il y a beaucoup de restos-buffets qui facturent au poids de l’assiette chargée comme chez Végo. Je m’en sors avec 5$ en général.
- Les hôtels les plus modestes s’appellent hosteles, hospedaria, pensāo, pousada… (12 à 25$ / la nuit selon), faut apprendre les nuances de standing.
- Ici et là les commerçants vendent, force pancartes à l’appui, l’accès à leurs toilettes pour 2 Reals. (50 sous); Bienvenues
- Le dimanche matin, c’est relâche générale, les commerces ferment à midi. Il ne reste ouverts en PM que quelques bars à soulins dont nous reparlerons plus loin.
Le Marché municipal Adolpho Lisboa
Un soupson Baltardien mais pas que, c’est un gros morceau historico-emblématique de Manaus. Même si ses passages alignent plus d’artisanat-souvenirs que de maraichers ou de hâbleurs colorés, il reste une aile bouchère et une autre poissonnière.
Je note dans cette section (et au menu des gargotes), la présence systématique du pirarucu que j’ai connu picarucu, espèce protégée au Pérou ( Lire ici ) proposé salé sous une forme originale:
Les filets sont enroulés, liés de rubans rouges puis découpés en tranches. Cela forme des roues de diverses épaisseurs dont l’esthétique attise ma curiosité.
Moins sexy au rayon volaille, les poules sont vendues vitellus en grappes restés dans les entrailles.
Il est plaisant de déambuler dans les allées du marché Lisboa, d’y déjeuner, de poser les fesses sur l‘un des bancs publics et regarder la vie passer.
Au comedor, je teste la galette de tapioca (beiju) fourrée fromage/omelette, parfaite pour un déjeuner léger quoiqu’un peu grasse.
En réalité, je vais (après recommandation avisée) m’abonner au Tambaqui, un poisson à chair fine accompagné de riz et d’haricots noirs, royal !
Claudia, agence Paradise
Directrice de l’agence de voyage (paradise viaje) Claudia est aussi directrice de l’alliance française.
Entré dans l’agence pour valider mes problèmes de visa et rechercher des solutions, je tombe du ciel lorsqu’elle me répond en espagnol d’abord, puis en français.
Adorable personne, elle m’offre son temps et une écoute haut de gamme compatissant au problème administratif qui me barre la route vers le Vénezuela.
Après avoir vérifié les infos via ses canaux professionnels, elle sort son carnet d’adresses et téléphone au consul honoraire qui lui rédige le lendemain un courriel très complet directement lié à ma situation. Niet, macache, nada! La solution ne passe que par une demande de visa en personne à Brasilia.
Nous mettons alors au point une solution « pirouette » dont je vous reparlerai (ça c’est du teasing).
Au-delà de ses compétences, j’apprécie la passion qu’elle montre pour sa ville et ses responsabilités professionnelles, elle me dit quoi voir, où aller, quoi ne pas manquer. Je lui raconte mon expérience à l’alliance de Quito dans les années 90 et voilà qu’elle me propose un poste de FLE* me vantant le bâtiment tout neuf dans lequel l’institution va s’installer.
Belle occasion d’immersion… Que n’ai-je 30 ans de moins!
Je ne résiste pas à vous communiquer l’adresse de l’agence ( plein centre )
Pluies, averses et déluge
En ce mois de janvier, les vingt cinq à trente degrés dans la journée s’accompagnent de violentes draches 100% ordinaires pour la saison. Ça tombe en rideau, ça cogne fort sur la tôle ondulée, c’est lourd, dense, violent, ça peut durer. Mais ça s’arrête d’un coup, puis ça sèche en 20 minutes, faut faire avec.
Le sachant, il est toujours bon de se prévoir un abri vers lequel se replier le temps que ça passe.
Parmi les antidotes en ville, on compte:
- le poncho plastique (sauna portable)
- le parapluie (à baleines blindées si possible),
- les auvents de commerce (vite saturés d’amis)
- les bars et cafés… Ces derniers ont naturellement ma préférence.
Un dimanche après midi au bar à soulins.
Le bar à soulins accueille par essence une population candidate à la murge décomplexée.
On y sert la bière au litre, posé (le litre) dans des contenants en polystyrène, histoire de la maintenir froide (la bière).
Le bar à soulins joue des playlists choisies par le patron dans des enceintes enrouées qui titillent les limites du ratio décibels/tympans de la clientèle. (Mais pas ce jour-là).
Je m’y suis arrêté car l’averse arrivait et parce que « hotel california » succédait à un tube des Bee Gees. Ça sentait grave la nostalgie et on dira ce qu’on voudra : En terme de remembrance, plus valeurs sûres que les années 70 – 80, tu meurs!
Les dipsomanes
Une fois mûr (compter deux litres de Pilsen pour commencer), le soulin monte dans les tours, lâche les chevaux et offre le meilleur de lui-même.
Il se métamorphose en Eric Clapton dans le solo de cocaine, en Led Zeppelin dans stairway to heaven, il est Jimmy Hendricks à Woodstock… Tant virtuose du manche de gratte que roi du playback et du jeu de scène micro-en-main, c’est un showman inépuisable.
Il se lève, esquisse un entrechat ou deux, se plie sur sa Gibson imaginaire, claque puissamment sa tong gauche au sol. Le torse bombé pour affirmer son autorité,il trébuche évidemment, se rattrape, se rassied et continue le morceau assis, le pied sur la pédale wah wah.
Chaque accord posé sur le manche virtuel par sa main gauche est vécu le visage plissé de souffrances, le performeur est habité, possédé! Il incarne.
Le soulin a besoin d’un auditoire, c’est là que ça peut se gâter pour toi… Parce que Toi et Lui, dès le départ, c’est à la vie à la mort, il te prend à témoin dès le premier regard laché même imprudemment. Ce fut furtif, mais maintenant t‘es cuit, ton statut est passé de spectateur attentif à complice impliqué.
Son extase est la tienne, son bonheur est forcément le vôtre.
Il te check, te recheck, te serre sa louche moite, il vit une pleine connivence. Il se rapproche. Les yeux dans les yeux il te partage son faciès débordant d’une bave spumeuse, il chante pour toi.
Attention quand même, reste prudent! Si tu lui en donnes trop, il va t’être difficile de t’en arracher, il faut doser ton sacrifice.
Certains soulins, plus avisés sans doute, restent assis. Spectateurs attentifs, immobiles, quasi figés, ils ne tentent la position debout que pour aller libérer l’excès « vessinal » de cerveja dans l’abreuvoir-pissotière sis au fond du troquet.
Dans le bar à soulins manausien on ne paye qu’en partant. Les bouteilles servies s’accumulent sur la table pour en faciliter l’addition et rester d’accord avec le quidam. (Le soulin bien que joyeux drille reste facile à fâcher).
Ah ! Voilà l’engourdi du fond qui s’extirpe de ses accoudoirs après 5 litres.
Il semble indemne après son roupillon sauf qu’au moment de partir il marche les pieds à l’envers, la trajectoire en épingle à cheveux, il s’équilibre et se rattrape aux tables avec virtuosité.
Médusant autant que jouissif, les 2 principaux showmens de ce dominical alignent 8 litres à eux deux au moment où je lève le camp.
Ma 33cl ne fera pas la fortune du patron, je le remercie sans rire pour la musique et le spectacle, il n’en reste pas moins sympa-cool, me lâche un « ate logo » la main levée derrière son zinc.
À dimanche prochain ou à la pluie prochaine… Mouais y a des chances.
NB:
Merci de ne pas considérer cette tranche de vie comme une moquerie où se cacherait méchanceté et médisance. Ce n’est qu’un vécu inspirant comme celles déjà vécue à Jardín par exemple et cela fait partie du plaisir de voyager
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*FLE = enseignant du Français en tant que Langue Étrangère.