5h du mat’, j’ai des frissons, le maudit bus a fait la route à fond. La navette du dernier km* me lache à la porte de chez John, le lodge élu pour ma semaine à Dalat.
Trop tôt pour le check-in, je m’affale dans un des fauteuils en ruine de la mezzanine et laisse le jour poindre son nez.
6h30, 1500m d’altitude, il fait agréablement frais, je tourne deux coins de rues à gauche pour tomber sur trois terrasses déjà saturées de clients caféinomanes.
Les alentours sont du type 3 V : Vastes, vallonnés, verdoyants, j’éprouve dans l’instant une sensation de bien-être, quelque chose me dit que cette région va me plaire.
– Cà phê đen nóng (café noir chaud)
Google map dans la paume, je pose sur la carte les repères qui vont déterminer ma façon de bouger pendant cette semaine du nouvel an vietnamien (le Têt).
Attiré vers ces terres pour des reliefs de théiers, caféiers et autres cacaotiers, je déplore qu’aucun « manuel ou application du joyeux randonneur » ne répertorie quelques itinéraires prémachés.
Au diable cette lacune, un chemin, ça s’invente, toutes les chêvres vous le diront. Il n’y aura qu’à se montrer créatif.
Dalat (en réalité : Đà Lạt)
Cité fleurie sortie de terre fin XIXe sous une administration française en mal de villégiature et de climat tempéré, la touche européenne de son architecture est réelle.
Quelques églises romanes, une gare réformée, l’école normale réaffectée à d’autres maîtres, ces marqueurs forts de la cité complètent une série de clins d’yeux aguicheurs perçus au fil de mes tours en ville : Toits pointus couverts de tuiles rouges, rondes ou mécaniques, chiens assis, petits carreaux aux fenêtres, jardinières aux balcons… Le soir, le pylone qui portent les antennes de communications s’illumine, il a une drôle de silhouette. Pas de doute ça sent l’Hexagone d’antan.
Les cafés, les boulangeries sont partout. Dans le quartier du « domaine de Marie (une institution religieuse) flottent des relents de Puisaye.
La cité ne se plaint pas de son « obscur passé colonial », au contraire, une impressionnante offre hôtelière témoigne de l’excellente santé du tourisme local.
Se perdre dans les ruelles de Dalat :
La circulation automobile est concentrée sur les 4 ou 5 grosses artères qui balafrent la ville. Le reste du plan est un gribouillage de rues-ruelles étroites, biscornues, difficiles à circuler parce qu’elles négocient un relief exigeant.
Arts de la rue et vie quotidienne
C’est sans le chercher que j’arrive dans le quartier de Dốc Ba Làng où trente réjouissantes murales, un projet subventionné, racontent l’histoire de la ville (en voir plein d’autres ici).
Ce petit quartier justifie à lui seul une pause à Dalat. Il faut musarder ces quelques blocs, assimiler la cohérence des œuvres, en apprécier ses différentes lectures, d’autant qu’un tas de tout petits bistrots (2 à 3 chaises) et de bars tout aussi chétifs permettent d’en rythmer l’exploration, une bia viet à la fois.
En flânant dans ce type de venelles, c’est aussi la vie quotidienne qui s’offre au regard du promeneur. Portes grandes ouvertes sur le salon, c’est en mode furtif que je prends note de la similitude de ces espaces de vie inéclairés:
- Un scooter garé là,
- Un petit autel bouddhiste richement décoré dans le fond de la pièce,
- des occupants qui vaquent à leurs occupations.
- Cuisine, couture, travaux divers, lecture du journal, sieste en vrac dans un hamac.
Le tout au ras du sol, quasi sans lumière.
Je ne fais que passer, le regard clandestin, je ne chaparde aucune photo. J’imprime ces instantanés de vraie vie sur la pellicule de mes souvenirs indiscrets.
Le têt ou nouvel an Vietnamien
Le Têt marque le début de l’année soli-lunaire et mobilise l’ensemble du pays.
Facilement confondu avec son grand frère le nouvel an chinois, le Têt a ses propres dates, origines et rites, son propre calendrier. (Pour les aspects techniques, lire ici).
« Bonheur, prospérité et longévité », on ne souhaitera le contraire à personne, sachant que cette fête est autant familiale que mystique.
Les parentés se regroupent de tout le pays pour célébrer leurs ancêtres et génies du foyer autour de repas riches et fins.
C’est une semaine au ralenti qui contraste avec le fourmillement usuel du pays. Seuls les transports saturent, la plupart des commerces ferment, ceux qui restent ouverts le font payer… à la tête du client.
Fêter le Têt
À la recherche du détail, je me fais chasseur de Têt.
Dans les rues, certains signaux marquent ostensiblement l’évènement:
- Guirlandes rouges et or,
- lampions,
- pastèques décorées,
- abus floraux.
Et les festivités comme:
- Danses du dragon,
- spectacles culturels,
- défilés de percussions,
- kermesses et jeux pour enfants,
- pétards, feux d’artifices,
Au-delà de ces manifestations, plus discrètement, on remarque quelques
Subtilités intégrées au quotidien.
Suscitant la surprise parce que rutilants, des plateaux chargés de victuailles sont exposés à la porte de certaines maisons.
Fleurs, fruits, légumes, poulets, biscuits, plats préparés, ce sont des offrandes destinées au culte des anciens.
Ça ressemble à un panier garni pour la guignolée, mais esthétiquement travaillé, sachant que chaque composant de l’offrande est porteur d’une intention anagogique.
Cette coutume vise à:
- vénérer les esprits des ancêtres,
- communiquer intimement avec ses défunts,
- les informer des grands événements concernant la famille,
- faire preuve de piété filiale,
- solliciter bonheur et prospérité en général.
C’est le rite familial le plus important des Vietnamiens (pour + de détails)
Dans la même veine, en soirée, il n’est pas rare de rencontrer des gens qui brûlent un à un des billets de pacotille dans un petit foyer métallique. Cet « argent » est destiné aux emplettes de leurs feu-ancêtres dans les centres commerciaux de l’au-delà.
Ailleurs, les familles attablées, robes et costumes du dimanche, portes grandes ouvertes toujours, saluent les passants, lancent du « Bonne année » à tout va.
Voilà qu’ils invitent le « quidam bizarre » que je suis à se joindre à eux.
Aussi agréable que souriant, j’accepte un thé, espérant un échange concret. Mais!
Ce sont les plus jeunes qui posent les questions, ils testent leurs leçons d’anglais avec enthousiasme. Chacune de mes réponses remporte un succès fou, provoquant même des explosions de ce rire communicatif dont seuls les enfants ont la recette.
Malheureusement, une fois avoués :
- ma nationalité,
- mon lieu de vie,
- mon âge,
- ma non-famille et
- le fait que je voyage seul…
Ils commencent à manquer de munitions les p’tits gars, ils viennent d’épuiser tout le vocabulaire retenu du trimestre. Je m’éclipse poliment, mille courbettes en remerciements.
Je voyage au Vietnam en version illéttré… Cela pèse lourd en frustrations cet hiver.
Il y a en tout voyageur un homme traqué, découvrant soudain sa solitude, son impuissance à entrer dans la comédie ou la tragédie qui se joue autour de lui.
Les poneys sauvages, Michel Déon
La cascade de Pongour
Sélection faite des sites à randonner, j’improvise un cheminement d’une vingtaine de kilomètres qui va partir de la cascade de Pongour pour se rendre à la pagode Linh An.
Les groupes organisés ne se rendent à ces élégantes chutes d’eau qu’au moment du pique-nique, j’y vais donc tôt dans la matinée.
Spectaculaires, paisibles, ces jolies chutes en arc de cercle restent un cul-de-sac vite exploré.
Photo, re-photo. Après quelques sauts entre les pierres là où c’est autorisé, je prends la direction de la pagode de Linh An.
J’espérais traverser de vastes plantations de café, de thé tel que je l’ai vécu en Inde ou au Sri Lanka, la réalité est toute autre.
La fertilité de cette région est exploitée en parcelles de petites surfaces, c’est du genre petits champs ou très grands jardins.
Je passe d’une plantation de café à des rangs de carottes puis de courgettes pour revenir aux caféiers… Je croise parfois les paysans qui travaillent ces terres, je ne gène personne, pas de chien hargneux non plus, voilà qui fait plaisir.
Champignons noirs
Sous un abri ouvert, des « oreilles grises » sèchent sur des claies entassées. Je reconnais ces « champignons vendus secs sous blister dans le quartier chinois à Montréal « . Ça m’interpelle.
Le propriétaire, avachi dans un coin, répond à mon regard interrogateur et m’ouvre la serre. Il cultive des linh chi (Auricularia polytricha) de la plus rationnelle des manières.
Du dehors, la serre ressemble à un amas de bâches épuisées posées en vrac. Dedans, c’est une culture « très techno » avec boudins nourrisseurs en polystyrène à la verticale, goutte à goutte de nutriments, température/hygrométrie maitrisée.
De quoi me bluffer pour la journée!
Je passe aussi à travers des étendues de plantes de différentes hauteurs. Sous leurs fines feuilles pendouillent des grappes de baies vertes et molles.
Ce sont des lianes grimpantes autour de tuteurs ou d’arbustes allant jusqu’à 4 mètres de haut.
Le proprio aimerait m’en dire plus. Toujours ce problème de communication.
Il cueille une paire de ces petites boules molles, je les porte à ma bouche. C’est du poivre frais, délicieux et incroyablement puissant.
À la pagode Linh An, Lam Dong
Pas plus fan de Bouddha que de boudin, je n’ai guère tendance à empiler les visites de temples/pagodes ou de statues spectaculaires du Bienheureux. Qu’ils soient ventrus, géants, rigolards, innombrables, en or ou en plâtre à modeler. (Linh An les cumule tous pour le même prix), je reste aussi froid que respectueux, profitant de la paix que le site impose.
La Pagode de Linh An fut mon choix de fin de parcours pour trois raisons:
- Quitte à se fixer un but, autant qu’il y ait quelque chose à voir.
- Je savais qu’un bus urbain me garantirait le retour à Dalat en fin de journée.
- Les temples, même très fréquentés restent des endroits quiets et civilisés à musarder.
Pour ne parler que des 71m du Bouddha géant, bennnnnnnn on peut dire que ça commence à faire du beau Bouddha.
L’intérieur est creux, cent-quatre-vingt seize marches mènent à la plus haute salle de recueillement sans fenêtres sur l’extérieur, dommage.
Les décos pastels de chaque étage sont très pastels, c’est du grand Zen comme on l’aime et comme chacun le sait, où y a du Zen y a plein de plaisir.
De retour en ville.
Et si on sortait boire une gueuze ce soir ?
Au bar Maze (café des 100 terrasses)

L’architecture et la décoration de ce bar qui n’ouvre qu’à 17 h sont très largement inspirées de la « maison folle » une curiosité à part entière.
Conçu comme un labyrinthe en trois dimensions, différents passages, escaliers, cheminements, goulottes et tunnels conduisent les amateurs de bières ou de cocktails de coins en recoins, via parfois des voies sans issues, jusqu’à la table qui leur conviendra.
Cela part du sous-sol, s’étend sur une « certaine profondeur » ainsi que sur une « sacrée hauteur » car la maison « s’appuie » sur la coline jusqu à sa terrasse finale.
De multiples cheminements remontent le client, le verre à la main vers différents niveaux, demi-étages, tiers d’étage, quelques marches, fausses sorties, alcôves cachées, micro-terrasses, tables bizarres, étages supérieurs, balcons inattendus. C’est très ludique.
Dédale aux passages exigus, colimaçons qui tournent à l’impasse, il faut en explorer les méandres parfois tête baissée pour en gravir les différents niveaux.
Atteindre la terrasse ultime s’avère finalement sportif, quelque chose comme 11 étages couronnés d’une vue en apothéose : Un 300 degrés sur les lumières de la ville.
À défaut de séduire, la décoration, entre surréalisme et délire psychédélique ne laisse personne sans avis. Le côté jeux de piste de cette exploration est aussi indéniable que parfait pour un début de soirée. Voyez vous-même.
Vidéo empruntée à Youtube
Les sites auxquels on peut échapper,
La Maison Folle
(ou Biệt thự du lịch Hằng Nga)
Gros piège à touriste, l’encart publicitaire te promet une sorte de palais du facteur Cheval qui tiendrait à la fois de Gaudi, de Dali, de Disney et des mondes de Tolkien !
Y a un moment, à force de revendiquer des influences, le truc ne ressemble plus à rien.
C’est le cas !
Censé « créer un lien entre l’homme et la nature, afin qu’il en cesse la destruction », cet argumentaire tombe à l’eau tant le béton transparaît dans la moindre circonvolution de cet étrange édifice.
C’est globalement surtout moche et d’un intérêt anecdotique. Je m’en veux de ne pas avoir menti sur mon âge, il faut 70 ans pour payer moitié prix.
Aux grands environs de Dalat
Un certain nombre de curiosités et de spots touristiques trop emballés pour être emballants. J’ai évité:
- La cascade de Datanla : le décor naturel de cette jolie cascade sert de prétexte à l’existence d’un parc d’attraction avec tyrolienne, bolide sur rail, parcours arbre en arbre. Quel dommage.
- Le « tunnel des sculptures » (Đường Hầm Điêu Khắc) : un site naturel très minéral gâché par l’aménagement d’un parcours de moulages en argiles beaux comme du béton peint au rouleau (allez voir des photos)
- Je n’ai pas non plus randonné la montagne Langbiang qui culmine à 2100m : Le chemin vers le sommet est aujourd’hui une j »olie route bitumée » permettant un accès en jeep au plus grand nombre.
Ça donne moins envie, c’est peut-être pour cela que je n’ai même pas trouvé le début du sentier de rando qui pourtant existe toujours.
Un acte manqué ! ça ne fait aucun doute, mon cher Rémi.
NB
L’image d’entête est un champs de fleurs de la taille d’un parc en plein centre de Dalat.
* « La navette du dernier km » ( dans le premier § )
La compagnie Futa – excellents bus-couchettes – n’a pas toujours un terminal en ville.
–> Au départ, des minivans ramassent les clients à l’adresse qui leur a vendu le billet et les regroupent sur un point-rencontre hors de la ville.
–> À l’arrivée, une flottille de mini-vans dépose les mêmes clients le plus souvent à la porte de leur hôtel.
Ce service est inclus dans le billet. À Dalat, le bus s’arrête à 15km du centre ! Les minivans du dernier kilomètre sont une vraie nécéssité.
Surprenant, oui, ça l’est !
Au départ, les annonces ne sont faites qu’en vietnamien.
Retrouver son bus parmi une centaine peut s’avérer flippant! (Mon conseil: faites-vous remarquer bien fort par les gars qui coordonnent les départs.)
À l’arrivée, il reste parfois pas mal de kilomètres à parcourir jusqu’au centre-ville. Les minivans ne vous attendent pas, il faut être sul piton!
En revanche, les taxis/Uber/et autres prestataires indépendants tentent de vous agripper avant que vous n’ayez rejoint votre minivan.
Tarifs prohibitifs en vue.
Vous savez tout.