Decendre l’Amazone de « sa source » à l’océan pèse encore lourd sur l’imaginaire du routard. De Percy Fawcet à Peter Blake en passant par Fitzcaraldo ou Corto Maltese, le cliché « expédition en forêt profonde» à la vie dure. Et pourtant!
Croisère sur l’Amazone
Pourtant… l’aventure est à portée de quelques tickets de ferry, un hamac et l’acceptation d’une croisière exonérée des habituelles conotations liées au luxe.
En fait, l’inconfort relatif du voyage constitue toute la fortune de cette aventure.
Mon expérience péruvienne d’Iquitos à Leticia en 2023 reste si forte, si ancrée que j’ai l’impression de reprendre le fleuve dans l’élan.
Les bateaux brésiliens (on dit « ferry » de ce côté-ci de la frontière) bien que similaires dans l’allure sont plus avenants, plus propres, mieux équipés. Il y a un comptoir à bouffe d’appoint et la bière y est froide. 😊 Les repas servis, plus copieux, plus appétissants sont aussi beaucoup plus dispendieux.
Manaus / Santarèm (à vos cartes)
Des pour et des contres
Alors que les bateaux péruviens marquent l’arrêt dans le moindre hameau offrant ainsi des escales et un regard sur la vie au bord du fleuve, au Brésil, le passager ne se voit débarqué que dans les grandes villes.
À charge pour ces cités-hubs d’offrir des lanchas vers les villages et les «comunidades ribeirinhas », (les communautés installées sur les rives du fleuve et de ses affluents).
Frustration pour l’amateur-mateur avide de vie quotidienne que je suis.
Entre Manaus et Santarèm, le bateau roule au centre d’un fleuve dont les rives ne cessent de s’éloigner.
Plus on circule et plus « y a rien à voir ».
Seuls au monde, le glissement de la coque sur l’eau crée une vague qui ne gêne personne ou presque.
Parfois le ferry ralentit, je me penche du bastingage en curieux, c’est une livraison à l’abordage. Une barque s’arrime, les paquets de sodas passent d’un bord à l’autre… L’esquif s’esquive, on remet les gaz.
Quoi faire?
Sans être déçu car l’immensité du fleuve est un paysage à part entière, ce tronçon peut paraître long.
Durant cette partie, la vie à bord compense l’absence d’intérêt du cheminement.
- Je tentative de bavardage mais suis un peu juste en portugais pour que cela mène quelque part.
- Tiens! un baluchon fait d’un sac Dollarama! C’est un ontarien aussi parano que fauché. Il sillonne l’Amazone sautant d’un ferry à l’autre sans jamais s’arrêter dans les ports.
Drôle de voyage mais pourquoi pas. Il m’interdit toute photo de lui et me demande de modifier son prénom si je l’évoque dans un article! Voilà mon cher Jean-Maurice qui est respecté!
- J’avance à grands pas dans le e-roman téléchargé pour le trajet,
- Je vide mon stock de podcasts (les pieds sur Terre) et
- Je sieste pour compenser mes nuits émiétées.
Pause obligatoire à Santarèm, changement de ferry.
Santarèm-Macapa
Entre Santarèm et Macapa, on maintient la donne. L’environnement amazonien manque cruellement d’intérêt, il est encore plus lointain. À peine visibles, les rives font corps avec l’horizon, le navire glisse sur cette sage immensité d’eaux brunes.
Consolation :
La première des deux nuits passées à bord, la météo nous sert un ciel noir-Afrique-zéro-nuage comme on en fait plus que dans les déserts et très-loin-très-haut dans la montagne.
C’est la piste aux étoiles, la voute céleste cligne des cieux, constelle, nébulise. Les zodiaques sont à fond, Ganymède en rajoute, Alpha du Centaure fait le cador.
C’est grand, immense, profond. Ce ciel est beau parce qu’il est lait… laiteux… lacté!, ça laisse sans voix.
Je scotche mon regard les cervicales à 90 degrés… Ça fait mal, je m’allonge une heure sur l’acier bleu du pont supérieur. Extase.
Ce n’est qu’en entrant dans le delta au cours de la seconde nuit que les berges se rapprocheront à la faveur des îles qui s’y multiplient, mais il fait trop noir pour en profiter.
Le ferry accoste à Macapa vers 3h30 du matin. Comme on m’a vanté le coté coupe-gorge du port aux heures matutinales, je termine la nuit sur le bateau à quai, c’est très sécure.
Macapa-Belem
Voilà probablement l’itinéraire à ne pas manquer si d’aventure vous pouvez passer par-là en allant faire vos courses. Le ferry se faufile entre les îles du delta enchainant des voies fluviales aux largeurs diverses mais toujours raisonnables.
Une nuée de gaivotas, jolies petites mouettes au corps très fin, accompagne en tournoyant le ferry espérant sans doute un lâché de nouilles, restes de la cantine.
La croisière offre 24 h de rives vertes mangrove-palmiers à portée de bastingage et d’obturateur: Splendide!
Je kodacke les micros-communautés installées sur ces bouts du monde. Maisons sur pilotis, charmantes masures colorées, environnements paysagés.
Bien alignés devant leurs pontons, il sont nombreux les enfants qui regardent le ferry passer depuis leurs pirogues/canoés/kayaks.
Soudain, un passager jette par-dessus bord un sac plastique blanc et ce qui me semble des sacs de chips rouges. Je saute en l’air! Mais qu’est-ce que c’est que ce bougre qui balance ses poubelles dans l’Amazone !? Le geste est répété par un autre passager puis un autre.
Voilà que ce sont les enfants surexcités qui s’y mettent! Les sacs fusent de partout!
Je réalise qu’ils distribuent aux communautés isolées des cadeaux qui vont de fournitures scolaires (mais où est l’école !?) à des paquets de bonbons ou des grignotines.
J’aime ces habitats perdus dont les émissaires abordent le ferry pour refourguer des grands sacs d’açai* cueillis derrière chez eux…
Bélem tout le monde descend
Le ferry arrive dans la baie de Belem, je ne m’attendais pas à cette époustouflante skyline à l’américaine. On verra plus tard qu’une fois au pied des tours, c’est un peu moins frimeur…
Le pont s’active, je décroche mon hamac, referme mon sac, la ville me tend les bras. Merci l’Amazone, l’affaire est entendue, beau boulot!
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*l’açai, il n’est pas impossible que je fasse un texte sur cette baie miracle si populaire au Nord du Brésil… à suivre.
Pratique en vrac
(À l’attention du voyageur « faiblard en Brésil » qui atterit sur ce blogue par hasard)
- Les bateaux de Manaus vont à Santarèm ensuite il faut changer pour Macapa ou pour Belem.
- S’arrêter à Santarèm n’est pas une perte de temps
- Quand un bateau arrive dans la nuit (23h à Santarèm, 3h du matin à Macapa) on peut rester à bord et finir votre nuit tranquille. Ça économise une nuit d’auberge.
- De Santarèm vers Belem ou Macapa il y a un bateau par jour, l’info est facile à trouver.
- À Santarèm vous pouvez marcher du port vers le centre-ville, ça prend 30 mn
- À Macapa, le bateau nous lâche à Santa Ana (à 30km) , il y des bus à 4,5 reals qui passent sur la rue principale à 5mn de marche (consultez google map), vous n’êtes pas obligé de vous faire niquer par les taxis (40 à 50 reals).
- En arrivant à Belem, j’ai aussi marché 40 mn pour atteindre le théâtre plein centre historique, ça se fait bien.
- Macapa-Belem est vraiment la plus chouette traversée de tout cet itinéraire car le bateau glisse dans le delta et c’est sublime du début à la fin.
- Dans chaque ville les bateaux en partance sont très nombreux, les tickets s’achètent aux abords des ports à des guérites autorisées. Ils s’achètent aussi directement à bord, les prix sont les mêmes. IL Y A TOUJOURS DE LA PLACE, à toi d’imposer ton hamac qq part si tu arrives tard.
- Arriver 2h avant le départ est suffisant pour s’installer peinard.
- Il y a des prises de courant partout, si tu as une rallonge c’est mieux, mais les gens sont cools et partagent aisément les leurs ainsi que leurs chargeurs.
- L’entretien des sanitaires est effectif et quotidien, les chasses d’eau ont toujours bien fonctionné et on n’a jamais manqué de PQ.
- Il y a quelques cabines avec lit-matelas, c’est cher et vous ne serez pas seul dans votre cabine.
- On peut acheter l’accès wifi satellite pour la durée du voyage (25 reals en 2024), on peut aussi s’en passer.
J’ai parfois reçu un signal vivo aux abords de villages ici et là. Je crois que Claro offre une meilleure couverture de façon globale. - Si vous avez 60 ans et plus, demandez le tarif des vieux, c’est presque 50% en moins et ils se fichent que tu soies étranger (alors que dans le bus ça ne passe pas….)