Fondée en 1533, soit 40 ans seulement après l’accostage de C. Colomb en croisière aux Bahamas, Pedro de Heredia, sanguinaire crapule à l’imagination limitée, baptise Carthagène en référence au port millénaire de Murcie. Pourquoi donc, se casser le bonnet ?
Il y ajoute « des Indes » histoire de bien égarer le conquistador moyen. Cinq cent ans plus tard, l’attribut est toujours là.
- Pourquoi ?
- Va savoir ma bonne Lucette ! Sûrement un coup des platistes.
( chevere, ça veut dire « génial »)
Trafic de noirs et traite des planches.
Le sens des affaires aussi acéré que la pointe de son épée, ce sombre personnage érige le lieu en plaque tournante du commerce triangulaire en vogue à l’époque :
Ressources locales (or, émeraude, bois précieux pillés aux autochtones) contre produits finis hispaniques et esclaves frais prélevés des côtes africaines.
Esclavagisme, inquisition et traînée de poudre.
La ville connaît une réussite à la fois fulgurante et malsaine. Pas toujours glorieuse l’histoire du monde… Les musées de Carthagène, sis dans des bâtiments coloniaux haut de gamme nous le rappellent parfois, non sans une certaine repentance. Ouf !
Il faut donc aller voir :
- La maison de l’inquisition (et de la torture avec potence en état de marche dans la cour ) ;
- Le musée de l’or (chouré aux Kogis et autres précolombiens) ;
- La chambre du commerce de blacks (qui n’avaient rien demandé).
La bien-pensance actuelle conduira peut-être au déboulonnage des statues érigées à la gloire de ce rascal à foie jaune, ça ne changera pas l’histoire : de fait, la population de Carthagène est bigarrée, ethniquement diverse et joyeusement foisonnante.
La commune est divisée en trois parties distinctes :
1 — Le littoral moderne : des tours élancées de 40 étages, entre business center et resort de luxe sur croisette frimeuse. La margarita s’y négocie au même tarif qu’à Saint Barth… Enfin j’imagine, je ne suis allé ni à l’un ni à l’autre.
2 — La ville « normale » qui ressemble à toute autre cité d’un million d’habitants pas-si-riches-que-ça.
Quartiers résidentiels, complexes commerciaux plus ou moins clinquants, circulation fumante, bouffe de rue huileuse, gens pressés… Des dizaines de blocs du genre « rien de spécial », juste le quotidien colombien, mais dans lequel j’adore balader mes baskets.
3 — Le centre historique, classé par l’UNESCO au patrimoine de l’humidité. Cité coloniale, l’une des rares de Colombie, elle serait la plus belle des Caraïbes d’où son slogan de « perla del caribe ».
Des allures de La Havane en rénové, les clichés foisonnent. Façades sorbet, costumes folkloriques, vendeurs de cigares à l’unité, charrette à fruits, les bougainvilliers surgissent du trottoir à l’assaut des frontispices. Mon Kodak tente les cadrages les plus osés, je ne m’y ennuie jamais.
Le Covid a divisé le tourisme par vingt, quitte à être jugé téméraire, je profite pleinement de la relative désertidude de ces jolies ruelles.
Le promeneur appliqué n’évitera pas les recommandations des avisés du voyage (Les tripadviseurs), souvent reprises par les blogueurs du même tonneau qu’ils soient routards ou non.
Il ira sûrement :
- au marché de Bazurto (populaire, olfactif, éloigné),
- au Castillo San Felipe (bof),
- à la Cathédrale Santa Catalina (classe en maudit),
- au Teatro Heredia (fermé en ce moment),
- à las Bovedas de Santa Clara (Halle à l’artisanat-souvenir),
- au couvent San Pedro Claver (et son église baroque),
- au Cerro de la Popa (en taxi « pour des raisons de sécurité »),
et quelques, et cetera, Carthagène ne manque vraiment pas de matériel.
1) El centro, le cœur historique est un village
Ceint de fortifications spectaculaires, bardé de clochers, de casernes, de prieurés et d’immenses maisons coloniales (style Extremadura, Andalousie, Murcie), le centre est un luxueux village aux ruelles parfois pavées.
Les balcons et les toits avancés accentuent l’étroitesse des artères et limitent habilement les ardeurs du soleil en favorisant la circulation des courants d’air maritimes et côtiers.
Le promeneur est ébloui par les façades pastel ou blanches immaculées toujours enrichies de suspensions qui semblent écloses à l’année longue.
Derrière les portes magistrales, ornées de « clous » et équipées de lourds heurtoirs (voir superbes exemples), les palais nobliaux cachent ici un hôtel, là un restaurant gastronomique. Leurs patios sont des havres de fraîcheur et d’élégance.
Chaque porte à son histoire, chaque histoire à son conteur, les guides touristiques hèlent le passant en espérant l’instruire. Ils s’affichent « gratuits », livrant leur subsistance à la fluctuation des pourboires.
Palenquéras
Avec 100 % de chances de finir face à la mer, quelle que soit la direction empruntée, s’égarer relève de la performance. Les rues affichent leurs noms d’origine sur d’élégantes plaques de céramique façon azulejos et les tours de la cathédrale ou de l’horloge sont visibles de partout…
Au pire des cas, demandez votre chemin aux Palanquéras, les descendantes chamarrées de la première génération d’esclaves d’Amérique du Sud affranchies du joug espagnol.
On les croise aux coins de rue stratégiques en habit « Chaud cacao » (je suis l’actu à fond), elles monnayent des poses « exotiques » pour quelques pesos.
Folklore de bon aloi pour visiteurs en manque d’inspiration ou remembrance de l’esclavage ? Je joue la neutralité.
Anecdote : Selon le lieu de leur servage, leurs coiffures servaient à escamoter des graines à replanter dans leur propre potager ou des pépites d’or qu’elles dénichaient pendant leur travail à la mine.
2) Getsemani
Ex ghetto des esclaves, aujourd’hui repaire des routards, Getsemani est LE quartier des créatifs. Il compense son retard de rénovation en s’habillant de galeries d’art et de murales signées d’ornemanistes reconnus ou en devenir.
Les doutes rencontrés à Medellín dans la comuna 13 quant à l’appréciation de certaines œuvres restent les mêmes :
- street art ou tag ?
- Grapheurs ou gribouilleurs ?
Réalisées sur des enduits usés par le climat, la texture des fresques n’est pas sans intérêt, en revanche l’effritement continu de ces fragiles supports est empreint d’une précarité tangible fort regrettable.
La curiosité pousse à visiter certaines de ces galeries.
Paysages, natures mortes, portraits. Escobar et Maradona jouxtent Sartre, Gainsbourg ou Angelina Jolie… Le bon goût et les références sont à géométrie variable, l’art comme « le cœur, à ses raisons que la raison ne connaît point »( B.Pascal).
Gabriel Garcia Marquez,
En Colombie et encore plus à Carthagène, G.G.M c’est Gabo.
Gabo c’est le pote à tout le monde.
Hey quand même ! 100 ans de solitude ce n’est pas du pipi de chat !
- Les bouquinistes du parc du centenaire, ceux de la tour de l’horloge présentent l’illustre citoyen de Carthagène bien en évidence sous toutes les éditions possibles ;
- Les murales ne redoutent pas le droit à l’image. Gabo est partout et à tout âge ;
- Sa maison, vue sur mer est un lieu de culte ;
- Son troquet favori, le Café Del Mar, plein-Ouest est pris d’assaut aux heures les plus rouges.
- Les « circuits Gabo » pullulent et baladent les accros sur les traces de la ville qui auraient inspirées « L’amour au temps du choléra ». Les inconditionnels vont même jusqu’à Mompox, rebaptisée Macondo dans « 100 ans de solitude » le roman nobellisé.
Café Havana
Le mondialement réputé « café Havana », cousin du « Buena Vista Social Club » cubain était fermé pour travaux pendant mon séjour. Frustration, souvenirs de l’original… Nostalgie quand tu nous tiens.
Auberge de jeunesse.
En fin de semaine j’ai pris congé de la famille où je logeais pour fréquenter une auberge de jeunesse. Changer de cadre et de contexte, prendre un peu de vacances au sein de mon voyage.
Bar, piscine, Wifi performant, salle avec écran géant et console de jeux vidéo, petit déj continental inclus, l’esprit Youth Hostel orienté « club vacances ».
Les dortoirs (air conditionné) sont de quatre lits avec espace privé. Deux sont inoccupés pour pandémie, si y en a un qui ronfle on va vite savoir qui c’est…
Le public est varié, de la famille en goguette avec enfants et chienchien au routard décati, l’âge n’est pas un critère de sélection, ça m’arrange.
J’y croise un flambeur beur du 93, un américain sans intérêt (pléonasme), deux Tchèques sans provision et quelques Colombes vachement biennes ( Heydi, Luz Adriana, )
À peine posé mon sac que… L’animation du vendredi 19 h commence, difficile de me défiler.
C’est un triple cours : salsa – merengue – bachata donné au bord de la piscine, le cliché « Club Med /Les bronzés » me monte au nez, j’ai un peu honte quand même…
Les pas simplissimes rendent rapidement accessibles ces trois gigues latinas, le problème réside définitivement dans l’art de ne pas avoir l’air d’un balai-brosse au boulot en les exécutant.
Entre le déhanché clin d’ œil, le coup d’épaule aguicheur et la vague circulaire pelvienne qui accompagnent chaque déplacement, la coolitude du bellâtre salsero ne se mérite qu’après dix ans de pratique intensive, minimum syndical… À moins d’être tombé dans la marmite étant petit.
L’avantage du moment voyez-vous, c’est que rien ne socialise mieux que ce type de défoulement entre novices.
L’animateur nous pairifie, c’est la sublime Diana qu’on affuble du vieux de la bande, Yo. Pauvre elle!
(À cet instant de la lecture, Jacky.L dégaine un petit sourire narquois bouffi d’extrapolations).
Rencontres décisives.
Le lendemain débarque du ciel, son mari ! Il arrive de Miami, le 6e sens en alerte n’en doutons pas.
Diane et Gustavo
Je fais immédiatement copain avec el hombre qui s’avère être un globe-trotter « AAA+ » version professionnel, le mètre-étalon de la catégorie.
Carthaginois, il a vécu à New York, Genève, Divones les bains (nettement moins cher que Genève), Saint-Nom-la-Bretèche, Londres, Miami… J’en passe.
Consultant du genre à ne pas s’en laisser conter en géomatique, il a travaillé pour des boîtes aussi énormes qu’Oracle, le CERN ou les Nations Unies et plus de 60 autres dont en France, Carrefour ou Axa…
Il parle français, il est volubile, prolixe, généreux en anecdotes, il a de la famille partout en Colombie. Me voilà invité à Bogota et à Santagueda un village de l’Antioquia (comme Riosucio, Jardin ou Guatape ) quasi sur mon chemin de retour le plus logique.
Lorsque je lui dis que je file au Darien Gap, il applaudit et me livre tout ce qu’il sait du « bouchon ».
Y aller, y entrer, y rester et en sortir sans faire demi-tour… grâce au Rio Atrato, un itinéraire fluvial que j’avais imaginé sans avoir la confirmation de faisabilité.
Je n’ai plus qu’à boucler mon sac pour Nécocli, les seules craintes qui subsistent sont la chaleur et les moustiques. Il en faut bien un peu.
Chronologie du voyage:
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