Retour à Riosucio, où je m’étais arrêté 5 semaines en 2021. J’y avais découvert un paisible bourg de 60 000 habitants qui mène à une chouette vie rurale dominée par la culture du café. J’y avais aussi fait quelques rencontres clés avec lesquelles je voulais renouer.
Covid étant, le carnaval 2021 ayant été annulé, je m’étais promis de revenir vivre cet événement biennal majeur de la vie culturelle du pays.
Origines du carnaval
Rares sont les sources web fiables qui s’étendent correctement sur le sujet, cet article (en espagnol) explique assez bien les contours de cette fête classée patrimonio inmaterial de Colombia.
Résumé en 95 mots:
C’est l’histoire de deux villages « Quiebralomo et La Montaña » qui, fondés au pied du Cerro Ingrumá, vivaient dans une inimitié extrême pour des histoires de territoire, et pas que… Rien de très original vous me direz…
En 1819, les 2 curés en ont marre, ils imposent aux habitants qu’ils s’unissent en une seule communauté, sous peine que Satan lui-même vienne botter le cul des réfractaires à cette injonction divine… Et ça marche!
Ils fondent Riosucio, gros bourg dont les deux places principales munies chacune de leurs églises constituent le double centre-ville à un pâté de maisons l’une de l’autre. Un design urbain exclusif!
Le diable du carnaval
Ce diable rouge brandi par les curés n’est pourtant pas celui de la religion, il ne symbolise en rien une attitude anti-chrétienne. Il est l’égérie d’un état d’esprit hérité de traditions culturelles locales imprégnées d’autres cultures et épistémés propres au Caldas (la région).
Le carnaval de Riosucio se veut une démonstration, un affichage de cultures d’un peuple issu de l’intégration:
- des indigènes,
- des noirs africains et,
- des blancs européens.
Une osmose de peuples, de genres, d’influences artistiques, littéraires et spirituelles.
Satan est, avec le temps, devenu le gardien symbolique de cette « fête de l’unité » qui a lieu tous les deux ans à l’épiphanie.
D’abord la fiesta
Comme tous les carnavals, c’est naturellement une immense fête propice au mélange des genres: kermesse, foire, ducasse, bals, performances musicales où s’entrecroisent artistes, acrobates, jongleurs, musiciens, vendeurs de cossins, bouffe de rue et receleurs de bibine au service d’un public avide d’insouciance et de bamboche.
Le carnaval démarre tranquillement avec le défilé des enfants, puis enchaine les processions ; celle du samedi soir qui présente Satan à son public est probablement la plus délurée, celle du dimanche midi, la plus spectaculaire.
Six jours de réjouissances
Durant ces six jours, la loi qui s’applique est celle de la « république du carnaval ». Notez, y a quand même une méchante flopée de flics, gardiens divers et militaires de la république de Colombie, des fois que…
Faut aussi considérer que rhum, guarapo et arguardente antioqueno (ce « pastis 34 » qui se boit en shooter et sans eau, fier sponsor de l’événement) sont disponibles partout, d’autant que le moindre commerce se transforme pour la semaine en débitant de boisson.
Pourtant, à part quelques éthyliques convaincus, je ne constate aucun débordement durant ces six jours. La foule est paisible et son comportement ne reflète pas vraiment la quantité d’alcool qu’elle absorbe.
Un déroulement bien huilé
Les festivités commencent dès 5h30 du matin pour se clore vers 2h dans la nuit (officiellement), cela laisse des temps de sommeil sommaires à qui désire tout voir, tout savoir, tout rapporter.
Ce n’est pas mon cas, d’autant que les amitiés que j’ai eues la chance de nouer en 2021 se révèlent extrêmement fructueuses en terme d’intégration à la fête et me permettent de me concentrer sur l’essentiel.
Du jour 1, celui des enfants, à la clôture, je me retrouve souvent aux premières loges, tantôt immergé dans les défilés, tantôt spectateur au premier rang de la scène.
Par exemple, invité privilégié par la famille Diaz-Bueno, amphitryon du Carnaval, j’ai la chance de vivre les « prestations enfants » dans leur maison particulière, en privé.
Les 3 premières journées sont similairesdans leur déroulement
Mais les cuadrillas sont chaque jour différentes
Les cuadrillas défilent à pied (ici pas de chars, pas d’ecoles de danses)) à partir de 11 heures puis présentent leurs poèmes, chansons, danses et « homélies au carnaval » sur les 2 scènes des places centrales et/ou dans une grosse quinzaine de maisons de familles remarquables qui les nourrissent et les abreuvent.
Cette journée marathon pour les cuadrillas n’est pas sans se révéler cruelle pour les enfants (jour 1) dont les plus petits (5-6 ans?) finissent ratatinés, dégoûtés de leur chansons à geste, la mine triste, le ras-le-bol évident.
Après le rush des 3 premiers jours
À partir du 4e jour, des jeux de « corrida populaire » s’affichent au programme.
Pas vraiment fan, j’avais pourtant envisagé de m’y rendre une fois pour l’ambiance (et voir éventuellement quelques couillons se faire encorner).
La pluie intermittente des 3 derniers jours eut facilement raison de mon faible entrain pour ces bouffonneries.
Je retiens quand même que pluie ou pas, les 2 derniers jours offrent toujours aux irréductibles des processions et des spectacles remarquables. Les groupes d’excellents musiciens se déplacent de tout le pays et se relayent sur scène bien au-delà de minuit.
Les cuadrillas majeures
(Groupes, bandes, équipes, congrégations, processions, groupe d’amis, familles… faut pas essayer de traduire…)
Ce sont des grappes de compères déguisés autour d’un thème, qui parcourent les rues principales de Riosucio en procession, puis assurent leurs prestations sur scène et/ou dans une grosse quinzaine de maisons privées.
Les thèmes vont de la critique sociale et politique, à des hommages à une époque, un style, un environnement. Beaucoup choisissent de parodier Satan, roi de la fiesta.
Cette année 31 cuadrillas participent, je n’ai pas réussi à relever tous leurs noms:
- Fête à Versailles,
- Inde,
- fontaine matachinesca,
- fête polaire,
- serpents,
- magiciens,
- boîte postale,
- Egypte,
- Grèce Antique,
- forêt,
- Géronimo,
- arts ataviques et indigènes colombiens,
- Les égéries de Picasso
- les jeux de cartes,
- jeu d’échecs,
- Katrinas de Mexico,
- l’envol des marimbas,
- chemin de lumière et d’ombres,
- messager du climat,
- insectes,
- animaux,
- Aztèques,
- Aborigènes,
- légion carnaval,
- Urus
Objectivement, les masquarades, et maquillages ne font pas dans « le petit joueur », chaque participant porte un costume original décliné dans sa thématique.
Ces déguisements représentent souvent des mois de travail et un investissement pécuniaire considérable. Farouches défenseurs de la tradition, leur fierté est mêlée d’un sens des responsabilités aiguë et mystique. Les cuadrillas ont terriblement à cœur d’être dignes de l’événement.
Normalement les thèmes sont totalement renouvelés à chaque carnaval. Les cuadrillas doivent composer au moins 3 chansons, des musiques, des danses et un poème pour prétendre défiler.
Et ma cuadrilla?
Invité par la famille Diaz-Bueno, je défile sous la bannière, « les gens d’ici et les gens d’ailleurs« , ma présence en tant qu’étranger est vraiment la bienvenue. Je reçois un accueil chaleureux de chaque participant et des encouragements à coup de shooter d’Aguardiente.
Ayant reçu des instructions précises pour mon costume, je me suis fait un devoir de respecter à la lettre les directives de « ma congrégation ».
Simple et peu coûteux, j’ai lâché le nécessaire à Renaissance, la friperie reine de Montréal et l’ai ajouté à mon sac minimaliste, l’alourdissant provisoirement d’un kilo.
En arrivant à Riosucio j’apporte mon obole au coût de fabrication de notre torrrrro et en avant Simone, le rassemblement a lieu vers 10h30. Pour aussi sage que soit le costume traditionnel de notre cuadrilla, son côté folklore Calderon fait mouche, on nous trouve bien beaux.
Sylvie m’avait dit « apporte un pantalon blanc et une chemise blanche, le foulard, la ceinture rouge et le chapeau seront fournis sur place ».
Nous avons aussi une chanson à déclamer aux arrêts étalonnés par l’organisation, son registre, (plus sage que « Chantal » à Dunkerque) exprime notre bonheur d’être au carnaval.
Un chahut, un chahut!
Les images vous laissent imaginer le volume sonore du délire collectif entretenu tant par la multiplicité des orchestres qui se jouent les uns sur les autres que par les slogans scandés par chaque confrérie du défilé.
Diables, diablesses, diablotins et démones abusent de leurs cornes et de leurs capes, le volume de la liesse est difficile à traduire en mots. (Je vais faire un diaporama dès que j’ai le temps).
Sacrifice del Diablo
Le dernier soir tient plus du bal populaire que du spectacle culturel, la foule attend le feu d’artifice (45 mn très rythmées) et la cérémonie de clôture en dansant sur des musiques populaires, plus commerciales et rock’n roll.
Déguisé cette fois en croque-mort lugubre genre Lurch/Max Addams, le traditionnel cérémonial est conduit par Anibal (omniprésent durant ces 6 jours).
Après qu’il ait surjoué la tristesse immense et fait un bilan du Carnaval sous la forme du testament de Satan, on y met le feu. (Pas à Anibal, au Diable).
En fait, vu le pognon investi et la qualité du boulot livré, depuis quelques itérations on ne brûle plus qu’une réplique du flamboyant Belzébuth original.
(Voir une impression en vidéo amateur ici si vous avez un compte facebook sinon ne cliquez pas).
Le « café carnaval » expose l’un d’entre eux dans son patio (voir article 2021) pour celui de cette année, on ne sait pas encore ce que l’on va faire du roi de l’édition 2023.
Une autre vidéo bien faite
Grand merci à Jean François et Syvie qui m’ont terriblement facilité la tâche en m’offrant de nouveau l’hospitalité dans ce contexte où tous les hébergements de la ville étaient saturés et dont les coûts avaient explosé.
Chronologie du voyage:
–> Article suivant : La pradera
<— Article précédent: Le volcan Paricutin