Les cafés du Parque central
Existe-t-il d’activité plus appropriée au slow tourisme que de passer en revue les cafés, bars ou comme on les appelle ici cafétérias d’un village?
La réputation de Jardín doit beaucoup à son Parque Central vif en couleur lui-même redevable aux 24 troquets toutes catégories confondues qui meublent savamment l’espace public de leurs tables multicolores et attirent une population friande de farniente.
Territoires inépuisables du photographe, chaque café offre un cadre personnalisé qui le distingue du voisin et lui assure la survie dans un contexte hautement concurrentiel.
On peut les classer en trois catégories
- Les vieux traditionnels (mes préférés)
- Les bars à soulins. (en ce moment bars à Covid)
- Les fancy (pour touristes et les bourgeois)
Les vieux cafés traditionnels très colombiens
Ce sont mes préférés, le cadre vieillot, usé, mais impeccablement propre, hume la vraie vie. Celle du temps qui passe sans se prendre le chou.
Ex bâtiments coloniaux, ce type de café très haut de plafond est généralement vaste. Pour occuper le volume, il offre des attractions qui captent un public de spécialistes souvent grisonnant parmi lequel quelques « jeunes » s’aventurent… Il faut bien transmettre les passions. Cartes, dominos, backgammon dont les pièces sont bruyamment posées sur le plateau peint sur la table.
Au « Heladeria Manzanares » par exemple, la musique est colombienne, traditionnelle, suave et romantique, le volume reste raisonnable, inutile d’élever la voix pour se parler.
Les gens qui s’y pressent sont 96 % de locaux, dont 90 % d’hommes (ce jour là, en tout cas).
Le carrelage en damier jaune pisseux et vert fatigué affiche un siècle et demi d’aller-retour à califourchon sur les serpillières. Il marque la place de son usure et ajoute un ton « conquistador déchu » à l’édifice qui fut un temps, résidence de dignitaire, puis autre chose sans doute avant de devenir crémerie-glacier et finalement café-billard.
Au mur les cadres-photos affichent des tirages délavés qui rajoutent à la nostalgie des scènes exposées. Pour le chasseur d’images, c’est safari tous les jours.
Il s’y passe toujours quelque chose, les clichés évocateurs, ceux qui racontent une histoire en un clic sont là, il reste à les capter.
Ergonomie et activité
Deux billards élimés au fond de la salle, 5 machines à sous des années 50 le long du mur, une table de joueurs de cartes, une autre de « petits chevaux » là. Et là encore, les fiévreux du dominos qu’ils font claquer bruyamment pour affirmer leur dominance.
Pour chacun, il n’en faut pas plus pour laisser filer une demi-journée à ne rien faire… d’autres. (Ce qui avouons-le, est quand même la quintessence du quotidien accompli).
A l’avant du café les tables sont occupées par les bavards, les conviviaux, les disciples de JM Gourio. Ceux qui refont le monde au fil des bières qui s’évaporent dont on ne comptera les bouteilles qu’au moment de l’addition.
Compañeros
Chapeauté, machette à la taille, sac en peau de vache sur le coté, ils causent visages rapprochés et se fichent totalement de ma présence lourdasse à un mètre de leur table. Connivence ! ils ne posent pas, ne figent pas, ils restent eux-mêmes fiers et merveilleux.
Mon 50 mm cherche le cadrage, l’attitude, la mimique et tente d’éliminer la pollution visuelle autour qui gâcherait la scène.
Détrempés à la Pilsen, les compères s’épanchent et se répandent. La bière, ça dessoiffe, ça éclaire l’analyse en la positivant. Le verbe est haut, la conviction puissante, Covid, politique et temps-qu’il-fait font un tabac, carajo !
Il semble qu’il ne soit jamais assez tard pour aller dîner ou pour rentrer à la casa. Pas sûr que ma photo soit bonne, mais le moment lui, fut délicieux.
Restent les tables du trottoir implicitement réservées aux contemplatifs de la rue, ceux qui se repaissent du passage, de la circulation et des chalands.
Les trois tables installées en face dans le Parc ne trouvent pas vraiment preneur, même à distance, le Manzanares reste un café d’habitués.
Les bars à soulins
En Colombie, ce sont les plus nombreux en ville. À Jardín, ils n’occupent pas seulement le parque central, ils sont présents dans chaque bloc, chaque rue.
Incontournables, ils prennent place entre le boucher et la mercière, sont voisin du pharmacien, de la cantina, pas de ségrégation, pas de zoning…
S’ils présentent des décorations intérieures très personnalisées, ils partagent des traits communs :
- Ils sont petits parfois moins de 4 tables ;
- Ils sont bas de plafonds, sombres et sévères en tabac ;
- La musique y est forte, très forte, trop forte ;
- La cerveza se tient dans la main, les shooters sont bruyamment frappés sur la table ;
- Les alcools forts dominent ;
- On méprise intensément le virus.
Pour s’entendre, il faut se hurler en pleine figure, vas-y à fond, c’est la fête aux postillons, la partouze de gouttelettes et viva les échanges de fluides biologiques, on est au Championnat du monde de cluster Covid.
Dans ces petits bars, la clientèle 100 % d’hommes (mais que des VRAIS hein !) est encadrée par une ou deux femmes employées de la place à dessein.
Il semble que l’accès à leurs ostentatoires attraits ne dépasse pas les 8 ou 10 $ avant marchandage.
Pardonnez mon imprécision, je n’ai pas réclamé la carte des prestations.
La présence de ces coachs en motivation n’en fait pas des bars à putes pour autant, « bar à soulins » est plus approprié, ces dames font partie du paysage, de la culture locale, elles aident efficacement le zinc à écouler ses stocks et si elles arrondissent leur fin de semaine dans l’allégresse, ma foi… (Comme disait ma grand-mère).
Foin de ces considérations, les bars à poivrots sont en tout en temps un spectacle coloré qu’il faut, si vous tenez à vos tympans et à vos poumons, apprécier avec modération et de l’extérieur.
Pour les photos, le public est bien là et en redemande
Face à cet excès de clientèle, le cadrage est souvent complexe tout comme l’est le choix de l’exposition et globalement la gestion de la lumière.
Les cafés fancys
J’ai bien peur de n’avoir rien à apprendre à personne en décrivant cette catégorie de chouettes petits troquets aux cadres proprets, rénovés chicos façon « comme chez toi-ami-touriste ».
J’en suis friand pour:
- le calme qui y règne,
- L’expresso serré haut de gamme
- le wifi plutôt fiable et dont le mot de passe est affiché bien en vue et
- la déco zen propice à la concentration.
Si je trouve l’inspiration et prends des notes au « Manzanares » je rédige au « De los Andes » dont la galerie au second, ouverte sur le parc central est une loge de balcon première classe sur l’agitation populaire du parc.
Les cafés fancy comme le « Martin Fierro » sont des repères de classe sociale où les Samsung et Iphones atteignent la surchauffe. Les tables sont vraiment à deux mètres les unes des autres, pas certain que le Covid en soit la cause…
Le fond musical est occidental, discret, voire absent. On discute au calme, déguste un sorbet, partage un gâteau crémeux. On paye son écot, on ajoute un pourboire dans le petit pot à côté de la caisse comme chez Starbucks, l’aveugle qui à tâtons fait son tour quotidien vers 15 h est sûr de faire recette, et ce n’est que justice.
D’élégantes étagères exposent café en sac de jute, fèves de chocolat fraîchement torréfiées, produits locaux en paquets minuscules bien chers, vous visualisez ? Fort peu exotique, mais très efficace, il ne faut pas nier le talent investi.
Ces produits régionaux (café, miel, artisanat) en packaging quasi précieux sont ciblés touristes, bourgeois locale et Medellinois.
2em ville du pays, 1,5 M d’habitant Medellín n’est qu’à 3 h de Jardín, elle constitue le réservoir principal du tourisme friqué qu’il soit villégiature ou dominical.
Chronologie du voyage:
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